Les statuts secrets de l'ordre des templiers

 

Présentation des documents

 

En 1877, Théodore Merzdorf1, conservateur de la bibliothèque ducale d'Oldenburg, publia en langue allemande, une série de documents sortis des archives de la grande loge maçonnique de Hambourg. Ces textes dans leur version latine sont une Règle officielle de l'ordre du Temple, suivi de trois autres documents présentés comme les statuts secrets de l'ordre des templiers. Tous seraient des copies d'authentiques documents trouvés dans les archives du Vatican2 dans les années 1780-1790 par un savant danois, Frederic Münter3.

 

Ces documents se présentent comme suit:

  • La Règle officielle du Temple, composée de soixante-douze articles; avec sept articles complétant la 'Regula' datée de la Saint-Félix 1205 et qui aurait été transcrite par le frère Matthieu de Tramlay. Cette règle est similaire aux autres exemplaires de Règle de l'ordre du Temple connues à ce jour
  • Le deuxième document daté d'août 1252 avec la mention "Ici commencent les statuts secrets des frères élus" est composé de trente articles approuvés par deux dignitaires de l'ordre, Roger de Montagu, précepteur de Normandie, et Robert de Barris, procurateur.
  • Le troisième document daté de juillet 1240 débute avec la mention "Ici commence le "liber consolamenti" ou statuts secrets, rédigés pour les frères consolés de la milice du Temple par Maître Roncelinus". Ces statuts composés de vingt articles sont signés par maître Roncelinus et par un autre dignitaire du Temple, frère Robert de Samford, procurateur du Temple en Angleterre.
  • Le dernier document daté d'août 1240 a la mention "Ici commence la liste des signes secrets que maître Roncelinus a réuni avec dix-huit articles et destinée au même Robert de Samford".

Extrait de l'article 30 des frères élus :

"Si un frère est mourant (...) le mort sera enterré avec sa ceinture rouge, on dira pour lui la Messe du Saint-Esprit en vêtements rouges et sur la pierre tombale on gravera le plus vieux signe du salut, le Pentalpha."

 

photos de Jean-Pierre SCHMIT

 

Extrait de l'article 7 des frères consolés :

" Ayez dans vos maisons des lieux de réunions vastes et cachés, auxquels on accèdera par des couloirs souterrains, pour que les Frères puissent se rendre aux réunions sans risque d'être inquiétés."

 

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Entrée du souterrain de l'église templière de la forteresse de Monzon, lieu de réunion du chapitre de la province d'Aragon

 

la remise en cause de l'authenticité des documents


La provenance 'maçonnique' des documents de Hambourg, ainsi que le fait que ce soit des copies et non des originaux qui furent traduits - et pour finir le contenu sulfureux des articles des dites règles secrètes - ont vite porté la suspicion sur les travaux du professeur Merzdorf.


Le premier à en faire la critique fut le grand historien allemand des ordres de chevalerie Hans Prutz dans un ouvrage publié à Berlin en 18794. Parmi les divers arguments repris par René Gilles dans son ouvrage les Templiers sont-ils coupables?5 pour dénoncer l'inauthenticité des textes, H. Prutz soutenait qu'il ne saurait y avoir aucun rapport entre la doctrine contenue dans les documents de Hambourg et celle qui ressort des procès-verbaux établis pendant le procès des Templiers. Avec cela, H. Prutz affirmait que l'Islam ne s'accordait avec aucune hérésie du Moyen-Age. De plus, selon lui, plusieurs parties des statuts étaient copiées sur la Bible, les Évangiles, les exhortations de Saint-Bernard, et qu'il était impossible que des templiers ignorants aient eu connaissance de ces textes. En dernier lieu, Hans Prutz, sortait un argument 'imparable', révélant un anachronisme dans le texte: le mot druse cité dans un des articles aurait été inconnu des chroniqueurs de l'époque médiévale.


la condamnation unanime des documents


C'est ce dernier argument qui sera repris pour condamner la publication de Théodore Merzdorf. Son ouvrage ne sera jamais traduit en français, et il faudra attendre 1957 et monsieur René Gilles pour avoir une première traduction en français des articles de ces dites règles secrètes. Aujourd'hui encore tous les historiens excepté René Gilles s'accordent à considérer ces documents comme des faux grossiers.



Un nouvel anachronisme sera même détecté, prouvant une fois encore l'imposture. Il semblerait que le faussaire en signant les statuts du nom de maître Roncelinus aurait copié un nom cité lors du procès des templiers. Le témoignage du précepteur d'Aquitaine et de Poitou, frère Geoffroy de Gonneville, lors de l'interrogatoire du 15 novembre 1307, précise à propos des rites pervers de renier le Christ et de cracher sur la croix: "... il y en a qui prétendent que ce fut l'une des mauvaises et perverses introductions du maître Roncelin dans les statuts de l'ordre; d'autres que cela provient des mauvais statuts et doctrines de maître Thomas Bérard..." 6 Or ce Roncelin réapparaît dans le témoignage d'un autre frère, Guy Dauphin, qui parle d'un "gentilhomme provençal reçu dans l'ordre par le maître Guillaume de Beaujeu"7 en 12858. Ce Roncelinus, identifié avec un chevalier de Provence du nom de Roncelin de Fos9 reçu dans l'ordre en 1285 , ne pouvait donc pas avoir signé les statuts secrets en 1240.

Druse, Roncelinus: deux anachronismes qui disqualifieront irrémédiablement les documents de Hambourg.


le débat relancé


Seulement ces deux preuves n'en sont pas, puisque nous savons maintenant que le mot druze est cité dans un récit de pèlerinage que Benjamin de Tudèle a entrepris entre les années 1163 et 117310.  Non seulement Benjamin de Tudèle cite le mot «druze» mais il décrit aussi leurs coutumes.  De plus, il existait bien un maître Roncelin à l'époque de la rédaction supposée des statuts.



Les historiens ont pu en effet identifier deux Roncelin de Fos11 au sein de l'ordre du Temple. Nous connaissons déjà le Roncelin de Fos reçu à Saint-Jean d'Acre en 1285, probablement comme membre affilié de l'ordre puisqu'il se marie deux ans plus tard avec Mabille d'Agoult et que nous le retrouvons par la suite en 1310 comme capitaine du château d'Hyères pour le compte de Charles II d'Anjou, roi de Naples et comte de Provence12.

 

château d'Hyères; photo de Denis Biette; licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5 Generic

 

C'est l'autre Roncelin de Fos qui nous intéresse ici. Même si son curriculum vitae n'est pas encore clairement établi, il apparaît dans les chroniques de Provence dès 123713. Ce chevalier a été maître de Tortose en 1242, maître en Provence de 1248 à 1250, puis maître en Angleterre de 1250 à 1259, et sera de nouveau maître en Provence de 1260 à 127814- date de sa mort probable. Roncelin de Fos pouvait donc être le signataire du texte. Il pouvait aussi connaître l'autre signataire, Robert de Samford, qui était maître en Angleterre de 1241 à 1248, puis de nouveau en 125915, où il succéda à Roncelin de Fos.

Le débat sur l'authenticité des règles secrètes est donc relancé.

 

sceau utilisé par Robert de Samford "milice templi in Anglia minister humilis" sur un acte concernant une rente due à la préceptorie de Hyde; 1241; Londres; British Museum; Wol., ch III,28

sceau utilisé par Robert de Samford

 

un a priori négatif envers la tonalité sulfureuse du texte


Par certains traits, les articles des règles en question sont tellement outranciers qu'on a du mal en tant que lecteur moderne à considérer la possibilité même de leur véracité.


Ainsi l'article 18 de la Règle des Frères Élus nous dit:

"Le royaume de Dieu est en nous. L'Église du vrai Christ au temps du Pape Sylvestre s'est changée en synagogue de l'Anté-Christ, et la Rome de Pierre, en Babylone moderne."16

 

Le ton agressif envers l'Église romaine surprend, et on a du mal à comprendre comment des chevaliers qui passent pour avoir défendu pendant près de deux siècles les intérêts de l'Église catholique en Terre Sainte auraient pu défendre une telle posture.

Ou encore dans la Règle des Frères Consolés de 1240, l'article 8 dit:

" Il y a des Élus et des Consolés dans toutes les régions du monde. Là où vous verrez construits de grands bâtiments, faites les signes de reconnaissance et vous trouverez beaucoup de justes instruits de Dieu et du Grand Art. Ils en ont hérité de leurs pères et maîtres et sont tous frères. Dans ce cas, sont les bons Hommes de Toulouse, les Pauvres de Lyon, les Albigeois, ceux des environs de Vérone et de Bergame, les Bajolais de Galicie et de Toscane, les Bégards et Bulgares. Par les chemins souterrains vous les amènerez à vos chapitres et, à ceux qui concevraient quelque crainte, vous conférerez le Consolamentum en dehors des chapitres, devant trois témoins."17


La Règle secrète des templiers semble aimer tout le monde sauf les bons catholiques. On comprend dans ces conditions pourquoi ces Règles ont été jugées comme des faux grossiers. Il pourrait cependant exister une explication assez simple. Si maître Roncelin est bien un chevalier provençal écrivant en 1240, le contexte historique de la Provence dans la première moitié du 13ème siècle peut très bien justifier le ton agressif des documents de Hambourg.


la Provence, terre d'Empire


En effet à cette époque, la noblesse provençale, ne pardonne pas à l'Église romaine sa politique hégémonique menée sur les terres de Provence avec le concours du Roi de France.  En 1226, le roi de France Louis VIII vient assiéger Avignon pourtant située comme la Provence sur des territoires faisant partie de l'Empire germanique. Sous couvert de la croisade albigeoise, l'Église romaine comme le roi de France outrepassent leurs droits dans la basse vallée du Rhône. Le comtat venaissin, ancienne terre d'Empire et fief de Raymond VII comte de Toulouse, est annexé par le Saint-Siège. Le comte de Provence, Raimond Béranger V, un catalan, s'associe à cette politique et profite de la protection des capétiens pour renforcer son pouvoir personnel sur les cités provençales.

 

siège d'Avignon; détail de Louis VIII le Lion; in: Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, Tours, vers 1455-1460

 

Les provençaux n'ont d'autre choix que de se tourner vers l'empereur Frédéric II pour défendre leurs droits. En 1226, Pons de Fos, l'aîné et chef de la famille de Fos, signe un acte de fidélité à l'empereur germanique Fréderic II18. Barral de Baux, à la tête du parti impérial en Provence et proche des templiers de la maison d'Arles19, qui sera excommunié à cinq reprises, n'hésitera pas à s'exclamer: " Tous les absous sont mes ennemis et tous les excommuniés mes amis."20 - ce qui n'est pas sans rappeler l'article 8 de la Règle des Frères consolés. Le contenu sulfureux des statuts secrets ne serait pas le signe d'une imposture mais la marque du gibelisme21 provençal tel qu'il sévissait dans la première moitié du 13ème siècle.


la violence anti-cléricale en Provence


La rancœur provoquée par le soutien du clergé local à la croisade française provoque dans les villes des violences anti-cléricales. En Avignon, comme en Arles en 1237, mais surtout dans les années 1239-1240, les troubles 'patariniques' recommencent, souvent très violents, chassant les clercs, interdisant les oblations et parfois même les offices, libérant les hérétiques tombés aux mains des inquisiteurs 22.



En 1246, Avignon se choisit Barral de Baux comme podestat. La première mesure symbolique qu'il prendra sera de faire libérer le citoyen d'Avignon qui était incarcéré pour hérésie dans les geôles de l'évêque. De plus, un prêtre est frappé par un des hommes de Barral de Baux alors qu'il était revêtu des insignes sacerdotaux; plusieurs 'lieux religieux', la maison de Saint-Bénezet, l'hôpital de Durand Uc sont laïcisés et placés sous le contrôle de la commune 23. II est clair que le parti gibelin cherche à s'appuyer sur les hérétiques de la région pour contrer les ambitions de l'Église romaine en Provence. On comprendrait mieux pourquoi les statuts secrets de maître Roncelin cherchent à recruter des partisans qui soient tous sauf de bons catholiques.


les seigneurs de Fos et la politique provençale


On s'aperçoit très vite que Roncelin de Fos, l'auteur présumé des statuts secrets, est totalement impliqué dans cette politique gibeline. Quand la cité de Marseille se révolte contre les ambitions du comte de Provence et se donne comme protecteur Raimond VII, comte de Toulouse, avec l'approbation de l'empereur Frédéric II, les Chroniques de Provence citent Roncelin de Fos, Raimond Jauffroy et Raimond de Baux, vicomtes et gouverneurs de la cité, comme "principaux chefs et conducteurs de cette guerre"24.



Apercevoir dans les années 1230-1237 les vicomtes de Marseille, les seigneurs de Baux et de Fos derrière Raimond VII, comte de Toulouse, rappelle aussi aux provençaux leur serment du Mont Pèlerin. En 1103, pendant le siège de Tripoli durant la première croisade, le comte de Toulouse Raimond de Saint-Gilles, fera promettre fidélité à sa dynastie à tous les occitans et provençaux présents autour de lui et qui avec lui ont fondé le comté de Tripoli.

 

Raymond IV de St Gilles; vitrail de la cathédrale de Nîmes; source: nimausensis.com

 

Parmi les provençaux présents on comptait notamment les vicomtes de Marseille, Raimond de Baux et les trois fils de Garcia: Pons, Gaufrey et Bertrand, seigneurs de Fos, d'Aix et d'Hyères25. La fidélité jurée par les provençaux en Terre Sainte au comte de Toulouse ne se démentira pas et durera jusqu'à la fin de cette dynastie en 1249.


Roncelin de Fos, maître de Tortose


Le comté de Tripoli gardera toujours des relations privilégiées avec les comtes de Toulouse et la Provence. En 1142, Raimond II comte de Tripoli, cousin d'Alphonse Jourdain, comte de Toulouse, confie la défense du comté de Tripoli à la chevalerie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem26. Cet ordre installera son Grand Prieuré à Saint-Gilles du Gard, possession des comtes de Toulouse en Provence et berceau patronymique du croisé Raimond de Saint-Gilles. Raimond de Saint-Gilles fera aussi donation à la célèbre abbaye bénédictine de Saint-Victor de Marseille de la moitié de la cité de Gibellet située entre Tripoli et Beyrouth27.


Les relations étroites entretenues entre les provençaux et le comté de Tripoli expliquent aussi pourquoi en 1242 Roncelin de Fos présent à Tortose maison cheftaine des templiers pour la province de Tripoli, apparaît comme maître de cette province28. Ses ancêtres ont participé à la fondation du comté de Tripoli29.

 

Tortose; photo Elgalopino

 

La maison provinciale de Tortose est aussi située à la frontière des territoires contrôlés par la secte musulmane des Assassins. Pendant tout le douzième siècle, cette secte payera un tribut de deux mille besants aux templiers qu'un émissaire viendra chaque année verser à la maison du Temple de Tortose30. C'est aussi dans ces mêmes montagnes du Liban qui surplombent le comté de Tripoli que l'on trouve les Druses. Roncelin de Fos qui a été maître de la province de Tripoli ne pouvait que les connaître et on ne s'étonne plus que dans l'article 9 des frères consolés. Roncelin nous dise: "vous recevrez fraternellement les Frères de ces groupements et de même, les Consolés d'Espagne et de Chypre recevront fraternellement les Sarrazins, les Druses et ceux qui habitent le Liban."31


La carrière de maître Roncelin de Fos


Quand on s'intéresse à la carrière de Roncelin de Fos32, on constate qu'il fut un personnage important au sein de l'ordre. Maître de la province de Tripoli, maître en Provence et en Angleterre, Roncelin cumule près de quarante années comme maître de province. II semble aussi avoir eu une action diplomatique.  En 1242, il apparaît dans un acte à Tortose en Syrie, où il règle un conflit entre le Temple et l'Hôpital.  Il semble même en faire une de ses spécialités, puisqu'il règlera un autre conflit entre les deux ordres à Saint-Jean d'Acre une vingtaine d'années plus tard33.



II a aussi beaucoup voyagé: en Provence, en Angleterre, et en Terre Sainte où en tant que maître de province il était appelé à former le chapitre général de l'ordre qui se réunissait périodiquement dans la maison-mère de Saint-Jean d'Acre.  Selon Laurent Dailliez, il aurait aussi effectué une mission en Italie dans les années 1263-126534 .  Toujours selon Laurent Dailliez, Roncelin de Fos apparaît en Palestine, à la suite de Thomas Bérard, sur un sauf-conduit daté d'octobre 1252 accordé à plusieurs personnes devant se rendre à Tripoli35. On suppose que le chapitre général tenu cette même année à Saint-Jean d'Acre a vu l'élection de Thomas Bérard comme grand-maître probablement avant octobre 1252.

 

Agnus Dei, sceau utilisé par Roncelin de Fos, «Magister domorum milicie Templi in Provincia»; département des Archives de Marseille, Bouches-du-Rhône

sceau utilisé par Roncelin de Fos

 

La proximité de Roncelin de Fos et de Thomas Bérard sur un même document peut s'expliquer. Certains historiens donnent Thomas Bérard comme de nationalité anglaise36. Or en 1252, Roncelin de Fos est maître pour l'Angleterre. Si Thomas Bérard représentait effectivement le parti anglais au sein du chapitre, il est logique que Roncelin de Fos soutienne sa candidature. Cela renvoie aussi à la déclaration du précepteur d'Aquitaine Geoffroy de Gonneville qui cite maître Roncelin et Thomas Bérard comme ceux qui auraient introduits les mauvais et pervers statuts au sein du Temple. L'implication des templiers anglais dans cette mauvaise affaire est étroitement liée aux options politiques prises par le roi d'Angleterre lui-même.


L'enjeu de la politique du Temple en Occident


Depuis le grand maître Guillaume de Chartres (1210-1219), les instances dirigeantes du Temple suivent fidèlement la politique définie par l'Église romaine. Lors de la première phase de la croisade albigeoise, menée sur les terres du comte de Toulouse par Simon de Montford, les templiers ont apporté un soutien logistique important aux croisés venus du Nord37. Il en va de même en 1226, où pendant le siège d'Avignon, le roi de France octroie les pleins pouvoirs à un templier, frère Evrard, pour recevoir en son nom la soumission de la cité de Saint-Antonin en Rouergue38. Nous verrons aussi le grand maître de l'ordre, Pierre de Montaigu (1219-1232), s'opposer violemment à la politique de Fréderic II en Terre Sainte39 après que ce dernier ait été excommunié par le pape Grégoire IX en novembre 1227. Mais la politique pontificale comme celle des templiers avait le tort de se reposer trop exclusivement sur la royauté française, ce qui contrariait les projets du roi d'Angleterre Henri lII qui avait décidé de reconquérir sur la dynastie capétienne tous les territoires perdus par son père Jean Sans Terre.

 

Henri III roi d'Angleterre débarque en Aquitaine;  Bibliothèque Nationale; MS Fr. 2829; folio 18

 

Dans le conflit qui s'annonçait, le contrôle du puissant réseau de commanderies qu'avait constitué l'ordre du Temple en Occident et que l'on avait vu se mettre au service des français pendant la croisade albigeoise ou de l'Église en Sicile 40 contre Frédéric II, devint vite un enjeu stratégique majeur.

 

1240: un nouveau Temple en Angleterre

 

En septembre 1232 est organisé à Bordeaux une entrevue entre le roi d'Angleterre Henri III, Raimond VII comte de Toulouse et marquis de Provence, et l'empereur germanique Frédéric II41. Cette réunion jette les bases d'une coalition anti-française, dont l'objectif principal est la reconstitution de l'ancien empire Plantagenêt. On imagine que la question de l'attitude des templiers dans cette entreprise devait se poser.



Le problème était que le comte de Toulouse comme l'empereur Frédéric II, qui tous deux avaient dû subir les foudres de l'excommunication, avaient beaucoup d'ennemis parmi les templiers. Seul le roi d'Angleterre avait le pouvoir d'impliquer l'ordre du Temple dans sa politique. En 1236, frère Robert de Samford sera personnellement chargé par Henri III, d'aller chercher en Provence Aliénor, une des quatre filles du comte de Provence et future épouse du roi42. Si Henri III et ses alliés pouvaient prétendre avoir une influence sur certains chapitres provinciaux de l'ordre, cette influence restait cependant minoritaire au sein d'un chapitre général43 dominé par les capétiens. L'engagement de l'ordre des templiers derrière la politique des coalisés n'avait aucune chance d'aboutir sans l'aval de l'Église.



Mais la seconde excommunication de Fréderic II, le 20 mars 1239 va précipiter les événements. Désormais une lutte à mort s'engage entre l'Église romaine et la dynastie des Hohenstaufen. Les coalisés, qui perdent tout espoir de rallier la papauté à leur cause, se radicalisent.  En mai 1240, le jour de l'Ascension, le roi d'Angleterre inaugure à Londres, en présence d'une foule de seigneurs du royaume, un nouveau Temple. Les templiers anglais avaient fait agrandir leur maison et prirent l'habitude de l'appeler Temple Neuf44.

 

Temple Church; Londres; Photo de  John Salmon; licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0

 

A la même période, au printemps 1240, sur la demande de Frédéric II, Raimond VII et Barral de Baux recommencent les hostilités en Provence. Ils confisquent les biens de l'Église à Avignon, Vaison et Cavaillon45.



C'est dans ce climat que l'on voit, à travers la rédaction des statuts secrets des templiers, se mettre en place la face cachée de la politique gibeline; une politique qui, à partir de l'excommunication définitive de Fréderic II, consiste à soustraire de l'influence de l'Église romaine et de son allié le roi de France une partie du puissant réseau templier.

 

La défaite des coalisés


La défaite des armées anglaises à la bataille de Taillebourg en 1242, puis la déposition en 1245 par le concile de Lyon de l'empereur Frédéric II vont ruiner les espoirs des coalisés. Barral de Baux, en Provence, va bien chercher à résister. En 1246, il prend la tête d'une coalition de cités provençales qui comprend Avignon, Arles et Marseille, et s'oppose à Charles d'Anjou, frère du roi de France qui vient d'épouser grâce aux bons offices de l'Église romaine Béatrice de Provence, dernière fille du comte de Provence et unique héritière du comté. Barral de Baux, dans son combat contre les français, aura le soutien en 1248 de Roncelin de Fos - qui est nommé maître du Temple pour la Provence. Hélas, la mort du comte de Toulouse en 1249, puis celle de Fréderic II l'année suivante, obligent Barral à faire sa soumission en 1250. Quant à Roncelin de Fos, il part pour Londres où il prendra la charge de maître pour la province d'Angleterre.



La défaite de l'alliance anglo-germanique était totale, et dix ans après leur rédaction les statuts secrets n'avaient plus d'objet. On aurait pu croire pour les templiers que les écrits de maître Roncelin seraient tombés dans l'oubli si Saint Louis ne s'apprêtait à faire une grave erreur politique vis à vis des frères du Temple.


1252, un nouveau maître pour le Temple


Entre mars 1251 et mai 1252, pendant la septième croisade entreprise par Saint-Louis, le grand maître des templiers Renaud de Vichier (1250-1252), prit sur lui d'engager des négociations secrètes avec l'émir de Damas, Al-Nâsir Yûsuf. Quand Renaud de Vichier finit par s'en ouvrir au roi pour obtenir son accord. Saint-Louis en fut profondément irrité car dans le même temps il négociait une trêve avec les Mamelûks d'Egypte qui prévoyait la rétrocession de Jérusalem contre l'abandon par les Francs de l'alliance avec les ayyûbides de Damas. Pour punir l'insubordination des templiers, Saint-Louis décida de les humilier publiquement et devant toute son armée, il fit défiler le grand maître et ses chevaliers sans chausse, accompagnés de l'émissaire de Damas. Arrivés devant le roi, Saint Louis obligea Renaud de Vichier et ses frères à s'agenouiller devant lui et à faire leur mea culpa. Le grand maître, s'adressant à l'émissaire de Damas, admit publiquement qu'il avait mal agi et qu'il regrettait d'avoir négocié ces accords46.

 

Saint Louis s'embarque pour la croisade; Louvre,Dpt.des Arts Graphiques, Paris, France

 

Pour les templiers l'humiliation infligée par le roi de France était inacceptable. Le grand maître fut démissionné et remplacé par Thomas Bérard. C'était une chance inespérée pour le parti anglais en pleine déconfiture. Renaud de Vichier était un proche du roi de France47. Thomas Bérard, une fois devenu grand maître, pouvait tout à loisir reprendre la politique d'Henri III. L'élection de Thomas Bérard pourrait se situer entre janvier et octobre 125248 pour une fourchette large, mais à notre avis plutôt entre mai et août 1252.



On peut remarquer dans les documents de Hambourg que la règle des Frères Élus approuvée par Roger de Montagu, précepteur de Normandie, est datée précisément d'août 1252 et que la Normandie faisait partie des territoires qu'Henri III cherchait à reprendre au roi de France. On peut penser que c'est sous la maîtrise de Thomas Bérard que les articles de la règle secrète vont s'imposer à tout l'ordre des templiers, comme le laisse entendre le témoignage du précepteur d'Aquitaine et de Poitou Godeffroy de Gonneville.


Conclusion


Nous pensons que les documents de Hambourg doivent être reconsidérés. Contrairement à ce qui a été écrit jusqu'à maintenant, rien ne permet de penser que les statuts secrets publiés par le professeur Merzdorf soient des faux.



L'étude du contexte historique au contraire crédibilise ces documents.    On a du mal à croire que des faux grossiers du 19ème siècle puissent s'appuyer sur des faits que les historiens contemporains commencent à peine à redécouvrir cent trente ans plus tard. Les données historiques nous permettent aussi de qualifier ces documents. Le caractère 'gibelin' des statuts secrets explique en partie le ton agressif envers l'Église romaine.



Tout ce que contient les articles de ces statuts reste encore à être débattu, comme la fameuse figure du Baphomet - qui à l'origine n'est pas propre aux templiers mais est issue de la tradition symbolique bénédictine et dont la connaissance était exclusivement réservée aux moines contemplatifs.  Cette figure s'introduira dans l'ordre du Temple via le canal de la liturgie des chanoines réguliers, que la Règle du Temple leur imposait de suivre.



D'une manière générale, la structure des statuts secrets semble se rapporter à la tradition des moines de la stricte observance bénédictine, ces 'fils de la vallée' si chers à Saint-Bernard49. Les pratiques des templiers ne sont pas tant à chercher du côté des hérétiques50 comme s'est acharné à le faire croire le roi de France Philippe le Bel, mais plutôt dans la tradition des moines bénédictins, patinée il est vrai d'un fort gibelisme anti-clérical.



De ce point de vue, les statuts secrets des templiers constituent une véritable rupture avec la vision sacerdotale du monde soutenue par un monarque de droit divin comme Saint-Louis. On pressent qu'un certain idéal monastique n'est pas totalement étranger à cette rupture au sein du Temple. A ce propos, on relève l'anecdote suivante: en 1214, un certain Roncelin de Fos "qui par suite d'embarras financiers, s'était fait moine, fatigué bientôt de la règle monastique qui, cependant n'était pas d'une grande gêne dans sa façon de vivre, ayant repris la vie séculière avait vendu audacieusement pour subvenir à ses nouvelles dépenses et pour la seconde fois, les biens qui lui avaient déjà été payés."51 Si Roncelin de Fos dans sa jeunesse a été moine - ce qui n'est pas impossible si on n'admet qu'il serait décédé après l'âge de 80 ans - cela expliquerait sa connaissance de certains mystères. Maître Roncelin, avant d'être un révolté, aurait goûté au pain des anges.

Lien vers les Statuts Secrets, version résumée et en français de René Gilles

par Jean-Pierre SCHMIT

Notes


1. Dr. Merzdorf; Die Geheimstatuten des Ordens der Tempelherren; Halle; 1877
2. Selon Merzdorf, les documents seraient répertoriés comme suit: Archives du Vatican, Acta inquisitionis contra ordinem militiae templi. ; codex XV, codex XXIV, codex XXXI, codex XXXII
3. En 1785, Fréderic Münter découvre à Rome à l'Académie des Lincei un manuscrit de la règle du Temple qui provient de la Bibliothèque florentine des Princes Corsini. Münter publiera un résumé en allemand de cette règle; F. Münter; Statutenbuch des Ordens der Tempelherren; Berlin; 1794
4. Hans Prutz; Geheimlehre und geheimstatuten des Temelherren Ordens; Berlin; 1879
5. René Gilles; Les Templiers sont-ils coupables? Leur histoire, leur règle, leur procès; Henri Guichaoua; Paris; 1957
6. Jules Michelet; Le procès des Templiers; Paris; 1841-1851; 2 vol.; réed.: les éditions du C.T.H.S.; 1987; Tome II; p. 400
7. Ibid ; Tome I; p. 418
8. 1285: la date a été rectifiée par Alain Demurger dans Jacques de Molav; Le crépuscule des templiers; éd. Payot; Paris; 2002; p. 82
9.J'ignore qui le premier a identifié Maître Roncelinus avec Roncelin de Fos, peut-être Gérard de Séde; Les Templiers sont parmi nous; éd. J'ai Lu; 1962; p. 140
10. Récits de Benjamin de Tudèle présenté par Joseph Shatzmiller; in Croisades et Pèlerinages, Récits. Chroniques et voyages en Terre sainte XIIe -XVI` siècles; éd. Robert Laffont; Paris; 1997; p.1312
11. Les seigneurs d'Hyères de la maison de Fos perpétueront le patronyme de Roncelin de Fos pendant plusieurs générations jusqu'au XVème siècle, ce qui ne facilite pas le travail des historiens.
12. H. Gay, Y. Grava, J.M. Paoli, A.M. Vigoureux; Histoire de Fos-sur-Mer; éd. EDISUD: Aix-en-Provence; 1977; p. 66
13. extraits de Chronique de Provence ; dans Jehan de Nostredame; Les vies des plus célèbres et anciens poètes provençaux; nouvelle édition préparée par Camille Chabaneau et publiée avec introduction et commentaire par Joseph Anglade; éd. Honoré Champion; Paris; 1913; p. 227
14. E.G. Léonard; Gallicarum militiae Templi Domorum; Paris;1930; p. 27 Voir aussi Laurent Dailliez; Paul de Sainte-Hilaire; Jean-Luc Alias
15. Dans l'état actuel des recherches, le champ des dates pour la carrière de Robert de Samford en tant que maître de la province d'Angleterre est très large. II va de 1229 à 1248, puis 1259. Ce champ doit être corrigé et précisé. Voir Thomas W. Parker, Charles G. Addison, Jean-Luc Alias, Paul de Saint-Hilaire
16. René Gilles; op. cit; p.65
17. Ibid; p.74
18. Histoire de Fos-sur-Mer; op. cit.; p. 69
19. En 1243, Barral de Baux fonde une chapellenie dans la maison du Temple d'Arles pour le repos des âmes d'Hugues et Barrala, ses père et mère. Avant cela, en 1234, le Temple d'Arles avait versé à Barral de Baux 200 000 sous suite à la vente de seigneuries. Même opération en 1240 pour 43 000 sous sur la vente de la villa de Méjanes au Temple d'Arles. Florian Mazel; La noblesse et l'Église en Provence, fin Xe-début XIVe siècle, l'exemple des familles d'Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille; Editions du CTHS; 2002; p. 465 On a l'étrange impression que dans les années 1230-1240, les templiers d'Arles participent au financement des campagnes militaires menées par Barral contre l'Église romaine et ses alliées.
20. Ibid; p.414
21. 'Gibelins' : nom donné aux partisans des empereurs germaniques de la dynastie des Hohenstaufen, opposés aux 'guelfes' partisans des papes et de l'indépendance italienne.
22. Jacques Chiffoleau; "les gibelins du royaume d'Arles. Notes sur les réalités impériales en Provence dans les deux premiers tiers du XIIIe siècle"; in Papauté, Monachisme et Théories politiques; tome II: Les Églises locales; collection d'histoire et d'archéologie médiévales -1; 1994; p.688
23. Florian Mazel; La noblesse et l'Église en Provence, op. cit.; p.413
24.Les chroniques de Provence ont été publiées par César de Nostredame, mais en réalité les notes ont été rassemblées vers 1575 par son oncle Jehan de Nostredame (1507-1577), procureur en la cour du parlement de Provence et frère du célèbre astrologue Nostradamus. Dans ses notes, Jehan donne la date de 1237 pour les événements concernant Roncelin de Fos. Or les deux insurrections marseillaises que nous connaissons et qui opposent le cité phocéenne au comte de Provence datent de 1230 et 1236. Il est possible que Jehan de Nostredame ait fait une confusion de dates; la même confusion que fera l'historien Antoine Ruffi; Histoire de la ville de Marseille; 1696; en datant de 1237 l'acte d'alliance entre Raimond VII et la ville de Marseille - qui date en réalité de novembre 1230. Si la date de la révolte marseillaise à laquelle Roncelin de Fos a participé doit être ramenée à 1230, cela pourrait concorder avec Laurent Dailliez qui prétend que Roncelin de Fos était maître en Angleterre en 1236. Dans ce cas, Roncelin aurait été le supérieur de Robert de Samford qui dans les statuts secrets porte le titre de procurateur en 1240.
25. Histoire de Fos-sur-Mer; op. cit.; p. 58
26. Bertran de La Farge; Raimon VI le comte excommunié; éd. Loubatières; 1998; p. 26
27. Régine Pernoud; Essai sur l'histoire du port de Marseille, des origines à la fin du XIIIème siècle; thèse pour le doctorat; faculté des Lettres de l'Université de Paris; 1935; p.72
28. Jean-Lue Alias; Acta Templarorium ou la prosopographie des Templiers; éd. Les trois spirales; 2002; p. 181 Le 17 juin 1242, Roncelin de Fos est cité dans une sentence arbitrale entre le Temple et l'Hôpital avec le titre de maître de la maison de Tortose.
29. Quand on relit l'article 126 des retraits des statuts de l'ordre du Temple, apparaît un Geoffroy de Fos. II n'est pas impossible que ce membre de la famille de Fos ait été en 1252 le commandeur de la province de Tripoli.
30. Alain Demurger; Les Templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen-Age; éd. Du Seuil; Paris; 2005; pp. 349-350
31. René Gilles; Les Templiers sont-ils coupables?; op. cit.; p.74
32. Compte tenu de l'état actuel des recherches, la carrière de Roncelin de Fos ne se précise qu'à partir de 1242. Avant cette date, il a peut-être été maître en Angleterre en 1236 selon Laurent Dailliez; Les Templiers en Provence; Alpes-Méditerranée éd.; 1977; p. 293
33. J.L. Alias; Acta Templarorium; op. cit.; p. 181
34. Laurent Dailliez; Les Templiers en Provence; op. Cit.; p. 293 Dommage que Laurent Dailliez ne cite pas ses sources concernant la carrière de Roncelin de Fos. 11 est en tout cas un des premiers à en proposer un aperçu.
35. Ibid; p.293 Ce sauf-conduit délivré par Thomas Bérard est cité aussi par René Grousset; Histoire des croisades; op. cit.; tome III; p. 553 Il est cité aussi par Delaville Le Roulx, Documents concernant les Templiers extraits des archives de Malte, Paris, 1882, n° XIX, p. 26-30

Frère Thomas Bérard, humble maître de la chevalerie du Temple par la grâce de Dieu, par le conseil, la volonté et l'octroi de son couvent accorde à différentes personnes nominalement  désignées des sauf-conduits afin d'aller à Tripoli demander raison au prince, à ses hommes ou à quelque habitant de la ville, de contentieux ou querelles en suspens. La liste des bénéficiaires de cet engagement comprend Henri, seigneur de Gibelet, Guillaume, seigneur du Bo[u]ron, Melior, seigneur de Maraclée, les enfants de Bertrand de Gibelet, Jean, maréchal de Tripoli, Jean de Farabel, seigneur du Puys, Hugues Saleman, Thomas Arra, Baudoin de Montolif, le vicomte de Tripoli, Jean, Ingo Embriaco, Guy du Patriarche, Raymond d'Eddé ("de Vedde"), Jean de Flaencourt, Bertrand Faisan, Pierre Loup, Philippe Estomac, Hugues de Maraclée, Peire de la Tor, Jean d'Arcas et Jacques "de Tabore" (Terbol?). La maison et le couvent du Temple répondent de leur sûreté et sauvegarde, tant durant leurs voyages d'aller et de retour, que durant leur séjour à Tripoli. Ce privilège s'étend à leurs hommes et héritiers ainsi qu'à tous ceux avec qui ils entreront en rapport, y compris les six juges actuellement  nommés pour étudier leurs requêtes et leurs demandes. Six de leurs représentants devront se joindre à ces six médiateurs avant la désignation d'un treizième. Les templiers s'engagent également à le prendre sous leur protection au cas où il n'appartiendrait pas la liste citée en tête d'acte. Les deux parties devant se réunir sous quinze ou quarante jours, selon qu'elles se trouvent ou non dans le comté de Tripoli au commencement de la procédure, les templiers s'engagent à veiller à ce que ces délais soient respectés et à contraindre le cas échéant le prince à les accepter. Thomas Bérard, au nom de son couvent et de ses successeurs, se déclare  aussi tenu de contraindre de n'importe quelle manière le susdit [Bohémond VI d'Antioche] à entériner leur verdict. Le présent privilège est considéré valable pour cinq ans à compter du mois de mai déjà passé et est concédé par l'octroi, la volonté et le conseil du couvent du Temple. Scellé de la bulle de plomb de la "Tube", sa valeur probatoire est garantie par frère Roncelin de Fos, frère Geoffroy de Fos, frère Amblar, frère Alfonso Gomes , compagnon du maître, frère Martin Sánchez et frère Gilbert Alboin."  "Ce fut fait l'an del l'incarnation notre Seigneur Jhesus Crist M CC et LII, el mois d'octobre ", c'est-à-dire le mois d'octobre 1252.


36. Selon les historiens, Thomas Bérard est donné soit de nationalité anglaise, soit de nationalité italienne. En 1200, on relève un Thomas Bérard comme maître en Angleterre; peut-être un aïeul de notre grand-maître?
37. Raimonde Reznikov; Cathares et Templiers; éd. Loubatières; 1993; pp. 8,17,20,21 Que ce soit à la Villedieu, dans le diocèse d'Albi, à Narbonne en 1212, à Montpellier en 1215, les commanderies templières serviront fidèlement l'Église et les croisés venus du Nord. Même le propre frère du comte de Toulouse Raimond VI, Baudoin de Toulouse, affilié à l'ordre des templiers, choisira de trahir son frère en 1211 pour se mettre au service de son pire ennemi, le chef des croisés, Simon de Montfort.
38. Ibid; p. 13
39. Voir René Grousset; Histoire des croisades et des royaumes francs de Jérusalem; éd. Perrin; Paris; 1991; tome Ill; p. 320
40. Pendant le séjour de Frédéric II en Terre Sainte (1228-1229), le pape Grégoire IX lança une croisade contre ses possessions en Sicile dirigée par Jean de Brienne. Nous n'avons pas les détails de l'implication des commanderies templières pendant ce conflit mais après l'échec de la croisade sicilienne en 1231, Grégoire IX demandera à Frédéric Il de restituer les biens saisis aux templiers. Voir Alain Demurger; Les Templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen-Age; op. cit.; p. 371
41. Jean-Luc Déjean; Quand chevauchaient les comtes de Toulouse (1050-1250); éd. Fayard; Paris; 1979; p. 364
42. Grande chronique de Matthieu Paris; trad. Par A. Huillard-Bréholles; éd. Paulin; Paris; 1840; tome V, année 1236; p. 131  Dans ces chroniques, Robert de Samford est qualifié du titre de maître de la milice du Temple en 1236, mais les chroniqueurs ne sont pas toujours au fait des titres portés par les dignitaires du Temple au moment précis des faits relatés. Comme Robert de Samford a bien été maître pour l'Angleterre, le chroniqueur a peut-être donné ce titre a posteriori.
43. Le chapitre général de l'ordre était l'instance dirigeante la plus élevée du Temple. Son pouvoir était supérieur à celui du grand maître - d'où l'intérêt de son contrôle, notamment pour pouvoir influer sur la nomination des différents dignitaires des provinces de l'ordre.
44. Grande chronique de Matthieu Paris; op. cit.; année 1240; p. 14
45. Florian Mazel; La noblesse et l'Église en Provence; op. cit.; p. 409
46. René Grousset; Histoire des croisades; op. cit.; tome III; p. 510
47. En 1250, le grand maître Renaud de Vichier, chevalier originaire de Champagne, fut le parrain de Jean Tristan, fils aîné du roi de France.
48. Laurent Dailliez donne la date de janvier 1252 dans Règle et statuts de l'ordre du Temple; éd. Dervy; Paris; 1996; p.27; note 8
49. La vallée, symbole par excellence du moine cistercien de la Stricte Observance bénédictine, va devenir le passage obligé des chevaliers du Moyen-Age en quête du Saint-Graal, tel Perceval (littéralement 'celui qui passe par la vallée') ou Parzival pour les germains, ou encore Perlesvaux pour les anglais.
50. On a, me semble-t-il trop souvent focalisé sur une pensée cathare au sein du Temple. En réalité, comme le précise l'article 8 des Frères Consolés, le consolamentum conféré à certaines recrues était une manière de rassurer ceux des hérétiques qui craignaient de s'engager dans un ordre à la réputation par trop catholique. Cette démarche était avant tout motivée par des objectifs politiques, plus que par une obligation religieuse. Les sources du Liber Consolamenti sont plus à chercher du côté du Liber ad milites templi de Saint-Bernard, où on y trouve des citations telles que: "comme une mère console ses fils, moi aussi je vous consolerai; en Jérusalem vous serez consolés." (chapitre 111,6) , ou encore: "si du moins nous avons la certitude d'appartenir au nombre de ceux dont l'Apôtre parle en ces termes:'Il nous a élus en lui' - pas de doute: il s'agit du Père, qui nous a élus dans le Fils" (chapitre XI, 24); Bernard de Clairvaux; Éloge de la nouvelle chevalerie; Sources chrétiennes n° 367; les éditions du Cerf; Paris 1990
51.Alphonse Denis; Hyères ancien et moderne; éd. Jeanne Laffitte, Marseille, 1999,  p. 24

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