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Les Templiers de Montsalvage, gardiens du Graal 

 

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« De vaillants chevaliers ont leur demeure au château de Montsalvage où l’on garde le Graal. Ce sont les Templiers […] Tout ce dont ils se nourrissent leur vient d’une pierre précieuse qui est en son essence est toute pureté. Si vous ne la connaissez pas, je vous en dirai le nom: on l’appelle lapsît exillis […] Elle porte aussi le nom de Graal. »

Wolfram von Eschenbach, Parzival, tome II, p. 36

 

La "lapsît exillis"

 

Le chevalier et poète Wolfram von Eschenbach , qui ne fait que traduire en allemand ce que Kyot le Provençal lui conte en français, donne une traduction quelque peu fantaisiste de la fameuse pierre qui semble avoir des pouvoirs fabuleux - car il est précisé dans ce roman:

 

« Il n’est point d’homme si malade qui, mis en présence de cette pierre, ne soit assurer d’échapper encore à la mort pendant toute la semaine qui suit le jour où il l’a vue. […] Cette pierre donne à l’homme une telle vigueur que ses os et sa chair retrouvent aussitôt leur jeunesse. » 1

 

Cette pierre dont le nom précis nous échappe a fait couler beaucoup d’encre depuis plusieurs siècles. Une des explications les plus anciennes, et qui reçut en son temps le plus de suffrages, fut que nous sommes devant la transcriptions déformée du terme latin « lapis ex coelis », « la pierre tombée du ciel », référence à la légende selon laquelle Lucifer, le porte-lumière, créé à l’image de Dieu, portait une couronne sertie sur son front d'une émeraude, symbole de cette unité. C’est l’épée flamboyante de l’archange saint Michel qui frappa l’ange Lucifer qui était rebelle contre son Dieu et fit tomber la pierre qu’il portait sur sa couronne tandis que l’ange déchu chutait du ciel pour être à jamais englouti dans les entrailles de l’Enfer.

 

2

 

Dans son roman Parzival, on a la surprise de lire : « Il y avait des anges qui n’avaient pas voulu prendre parti quand commença la lutte de Lucifer et de la Trinité. Tous ces anges, nobles et bons, Dieu les a contraints à descendre sur terre pour garder cette pierre. » 3

 

Comme juste avant Wolfram von Eschenbach nous avait précisé que c’était les Templiers les gardiens de la pierre, on en déduit que ce sont ces frères templiers du château de Montsalvage qui ont refusé de s’opposer à Lucifer. 

 

Pourquoi une telle retenue? Si on s’en réfère à l’antique livre d’Hénoch, arrière-grand-père de Noé, on apprend que ce sont les mauvais anges qui ont appris aux hommes comment fabriquer les épées et les glaives, le bouclier et la cuirasse de la poitrine. Un des mauvais anges (Azazel) leur montra les métaux et l’art de les travailler, le bracelet, les parures et l’art de peindre le tour des yeux. Un autre (Amiziras) instruit les enchanteurs et les coupeurs de racines. Armaros apprit aux hommes à rompre les charmes. Baraqiel instruit les astrologues. Kôkabiel enseigna les signes., Tamiel l’aspect des étoiles et Asdariel le cours de la lune. 4

 

On croit comprendre que le château de Montsalvage se veut pour les Templiers qui l’occupent un temple de la connaissance. Oserais-je dire une maison de la sagesse? Si ce sont Lucifer et sa troupe qui possèdent la connaissance, on conçoit qu’il ne faille pas trop les contrarier et les Templiers de Montsalvage vont montrer dans ce domaine un zèle plus que suspect. 

 

Une autre interprétation de la lapsît exillis nous a été donnée au début du XXe siècle. Jessie Weston (1850-1928), Konrad Burdach (1859-1936) et Rudolf Palgen (1895-1975) proposent comme transcription « lapis elixir » 5, latin médiéval issu de l’arabe al-Iksir, nom qui selon Rudolf Palgen 6 serait donné par les Arabes à la pierre philosophale mais avec une forte connotation thérapeutique. La lapis elixir pourrait se traduire par « la pierre qui guérit ». En latin médiéval, le mot élixir est attesté dès 1144. Il apparaît aussi dans un traité de médecine de Gérard de Crémone (1114-1187). Rappelons que le roman Parzival de Wolfram von Eschenbach date du début du XIIIe siècle.

 

Avec cette interprétation, le Graal serait alors directement rattaché à la pierre des philosophes et par conséquent à un art bien précis, celui de l’alchimie - un autre terme que les latins ont découvert chez les Arabes. Le Graal a manifestement chez le poète allemand des qualités curatives sur ceux qui s’en approchent. Wolfram von Eschenbach nous précise aussi que : « Kyot, le maître illustre, trouva à Tolède, parmi des manuscrits abandonnés, la matière de cette histoire, notée en écriture arabe » 7 et que l’auteur du manuscrit, un certain Flégétanis, était né d’un père arabe. L’origine arabe du mot élixir et l’aspect thérapeutique de la pierre donnent des arguments séduisants pour cette thèse. 

 

Toujours en rapport avec l’alchimie, une dernière interprétation se fera jours dans les années 1960. Emma Jung et Marie-Louise von Franz 8 ont proposé que lapsît exillis serait la transcription de l’expression lapis exilis, c’est-à-dire « la pierre de peu de prix », expression que l’on retrouve dans le Rosarium Philosopharum, un florilège de textes alchimiques du XIVe siècle. Quand on connaît la nature de la pierre philosophale, cette définition est très cohérente et elle se rapproche le plus de l’orthographe initiale donnée par le poète allemand. 

 

En réalité, il est bien difficile de trancher entre ces différentes propositions. Dans le roman Parzival, le Graal et ses pouvoirs magiques sont indéniablement liés à une connaissance délivrée par des forces occultes. Mais cette connaissance est multiple. Pour le poète florentin Dante Alighieri (1265-1321), Lucifer est au centre de l’Enfer dont l’étude des caractéristiques nous révèle les clefs de la géométrie descriptive. Cette partie de la géométrie ne sera théorisée en Occident qu’en 1795 par le mathématicien français Gaspard Monge (1746-1818).

 

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Il est fort probable qu’à Montsalvage, dans ce temple de la sagesse, les Templiers aient reçu les leçons du roi géomètre Yusuf Al-Mutaman, troisième roi de la dynastie des Banû Hûd, roi de Saragosse de 1081 à 1085, qui fut l’auteur du Livre de la Perfection. Cet ouvrage est un compendium des connaissances mathématiques, géométriques et d’optique du monde arabe. Le Livre de la Perfection traite des nombres irrationnels, des sections coniques, de la quadrature du segment parabolique, des volumes et des aires des divers objets géométriques. Le prince Yusuf a notamment résolu le théorème d’Al-Mutaman, qui ne sera redécouvert en Europe qu’en 1678 par le mathématicien italien Giovanni Ceva (1647-1734).

 

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En astrologie, ce sont les leçons du maître Albumasar (787-886) 9 que les Latins vont suivre, dont certaines propositions sur le passé, le présent et le futur se retrouvent chez Nostradamus (1503-1566). Pour l’alchimie, le moine Morienus et un certain Rosinus sont des références incontournables de cet art. Tous ces noms et d’autres encore seront pour les Latins les nouvelles troupes du « porteur de lumière » (Lucifer) dont les étudiants au Moyen-Âge seront de plus en plus nombreux en Occitanie. 

 

 

Flégétanis et Hermès Trismégiste

 

Pour Pierre Ponsoye, dans son ouvrage l’Islam et le Graal 10, Flégétanis, l’auteur de l’histoire du Graal selon Kyot le provençal serait la transcription maladroite du terme arabe « Felek-Thanis », c’est-à-dire le second ciel. Ce deuxième ciel est en astrologie le ciel de Mercure-Hermès. Si nous comprenons bien Kyot le Provençal, ce serait Hermès Trismégiste qui serait l’auteur de l’histoire du Graal. Le fameux triple Hermès, à la fois descendant de Salomon, avec un père arabe, et qui maintenant se propose d’instruire les Chrétiens. Pierre Ponsoye fait remarquer que la seconde sphère céleste était placée sous l’invocation du messager des dieux avec Sayidnâ AISSA c’est-à-dire Jésus11.

 

On se rend compte qu’à mots couverts, Wolfram von Eschenbach nous parle de cet hermétisme appelé à nourrir les trois religions monothéistes, voire à les fusionner, dans une nouvelle religion qui possédait ses propres savoirs parmi lesquels l’art de l’alchimie est en bonne place. 

 

Ce que Kyot le Provençal et son traducteur allemand cherche à nous dire de manière obscure autour des années 1200, un savant traducteur n’hésitera pas dans un de ses prologues à nous en parler de manière on ne peut plus claire. Ne nous y trompons pas: ce prologue qui date du 11 février 1144 sonne comme une profession de foi à cette nouvelle religion qui trouvera un certain écho chez les chanoines réguliers toulousains qui sont en charge de la liturgie dans le royaume d’Aragon depuis le concile de Toulouse en 1119 organisé par le pape Calixte II, comme chez nos Templiers occitans en charge de la reconquête espagnole depuis le concile de Gérone en 1143.

 

L’auteur de ce prologue s’appelle Robert de Chester.  Il se trouve en tête de la traduction d’un ouvrage en langue arabe intitulé Le Livre de la Composition d’Alchymie. Ce prologue est un peu long. Nous le citerons tout de même dans son intégralité compte tenu de l’importance que ce texte a pour notre sujet.  

 

Livre sur la composition de l'Alchymie que Morien le Romain publia pour Calid, roi des Égyptiens; traduit de l'arabe au latin par Robert de Chester


« Nous lisons dans les histoires des anciens auteurs qu’il y avait trois philosophes, tous les trois appelés Hermès. Le premier fut Énoch, aussi appelé tantôt Hermès, tantôt Mercure. Le deuxième fut Noé, lui aussi nommé tantôt Hermès, tantôt Mercure. Quant au troisième, c’est l’Hermès qui régna en Égypte après le déluge, et y maintint longtemps son pouvoir. Celui-ci fut dit « triple » par nos prédécesseurs, à cause d’une triple collection de vertus, que lui avait attribuée le Seigneur Dieu : il était Roi, philosophe et prophète. C’est cet Hermès qui, après le déluge, fut le premier inventeur et diffuseur de tous les arts et disciplines, tant libérales que mécaniques. De fait, tous ceux qui vinrent après lui s’efforcèrent de suivre son chemin et de s’attacher à ses traces. Que dire de plus ? Il serait trop long et difficile pour nous de rappeler présentement les parures et actes de vertu d’un homme tel et si grand. La raison en est aussi que nous n’avons pas choisi cette sorte de discours en traduisant ce divin livre, et aussi que la faiblesse de notre génie, l’étude ou le loisir d’écrire ne pourraient y suffire. Mais si nous avons introduit son nom dans le prologue de ce livre, c’est parce qu’il est le premier à avoir trouvé et publié ce livre. Ce livre est en effet divin et tout rempli de divinité. En lui se trouve en effet contenue la vraie démonstration des deux Testaments – l’Ancien et le Nouveau. Car si quelqu’un étudie dans ce livre et le comprend pleinement, la vérité des deux Testaments, de même que la mesure et la suffisance de l’une et l’autre vie, ne pourront plus lui être abscondes. Ce livre a été appelé Livre sur la Composition de l’Alchymie. Et puisque notre occident
latin ignore encore presque totalement ce qu’est l’Alchymie et quelle est sa composition, j’ai dans le présent discours utilisé ce mot, quoiqu’inconnu et étonnant, pour que son sens s’éclaire par une définition. Hermès et ceux qui vinrent après lui définissent ce terme comme dans le Livre de la mutation des substances : l’Alchimie est une substance corporelle composée simplement, à partir d’une seule chose et par une seule chose, qui unit ensemble des choses assez précieuses par une parenté et un effet, et qui, par la même commixtion naturelle, les transforme naturellement par de meilleurs génies. Dans ce qui suit, ce que j’ai dit sera expliqué, là où on traitera pleinement de sa composition. Nous-même, bien qu’ayant un faible génie et un latin moyen, nous avons entrepris de traduire une telle et si grande œuvre, de l’arabe au latin. C’est pourquoi nous remercions ce Dieu vivant très haut, qui est triple et un, pour ce bienfait singulier qu’il nous a attribué parmi les modernes. Il ne m’a pas plu de taire mon nom au début du prologue, pour que personne ne s’attribue notre présent travail et n’en revendique aussi la louange et le mérite comme étant siens. Qu’ajouterais-je de plus ? C’est avec humilité que je vous prie et supplie tous, qu’aucun des nôtres ne se consume par la pâleur de son esprit face à mon nom – ce qui est l’habitude de beaucoup. Dieu sait en effet à qui de tous accorder sa grâce ; de la grâce procède l’esprit, qui inspire qui il veut. C’est donc à juste titre que nous devons nous réjouir, puisque le créateur et fondateur de toutes choses montre à tous pour ainsi dire sa divinité particulière : que celle-là ne nous soit pas totalement cachée !

Discours de Morien, Ermite de Jérusalem.

 

L’esprit divin d’Hermès atteint pleinement toutes les parties de la Philosophie. Comme, pendant de nombreuses années, celui-ci s’était appliqué à trouver et diffuser le magistère supérieur, enfin, il le trouva et le publia le premier. Il composa un livre à son sujet, qu’il s’attribua à lui-même, et, qu’à sa mort il laissa en héritage à ses disciples. Après sa mort, ses disciples étudièrent longtemps ce livre et ses préceptes, pour pouvoir en obtenir la réalisation. Après donc avoir obtenu cet effet, ils donnèrent des préceptes innombrables et variés à son sujet. S’ils firent cela, c’est pour que ceux qui l’atteindraient après eux ne la révèlent pas aux sots comme une science vulgaire. » 12

 

Le Liber de Compositione alchemiae raconte l’initiation par le moine Morienus (Morien) du prince et mécène omayyade Khâlib ibn Yazíd (668-704). Morienus est présenté comme un moine chrétien natif de Rome, un Latin qui après un séjour d’étude auprès d’un alchimiste alexandrin se serait installé près de Jérusalem où il aurait initié à son tour un prince arabe à cette science de l’alchimie gréco-égyptienne. Précisons que Morien, c’est-à-dire le romain, désignait chez les Arabes non pas les Latins mais les Byzantins. Le moine Morienus n’était probablement pas natif de Rome mais plutôt de Constantinople. 

 

Le nom de Khâlib ibn Yazíd, élève du moine Morienus, apparaît dans un autre ouvrage d’alchimie: le Livre de Cratès. Ce livre révèle aux initiés le nom de la pierre philosophale sous forme d’énigme. 

 

Voici l’énigme: 

 

« Définition de la pierre qui n’est pas pierre, ni de la nature de la pierre: c’est une pierre qui est engendrée chaque année; sa mine se trouve sur les sommets des montagnes. C’est un minerai contenu dans le sable et dans les roches de toutes les montagnes; il se trouve aussi dans les matières colorantes, dans les mers, dans les arbres, dans les plantes et les eaux, et tout ce qui est analogue. Dès que vous l’aurez reconnu, prenez-le et faites-en de la chaux. » 13

 

La réponse à cette énigme est le sel d’ammoniac, c’est-à-dire le sel d’Ammon.

 

Le sel est le troisième élément de base de l’alchimie avec le soufre et le mercure. Troisième élément que les philosophes ne révèlent en aucun cas le nom. C’est la lapis exilis, la pierre de peu de prix, qui reste cependant un élément indispensable pour l’élaboration de médicaments à base minérale, révolution copernicienne dans cette médecine médiévale où l’on soignait les corps essentiellement à base de plantes.14 On en revient au témoignage de l’alchimiste Bernard de Trévise au XVe siècle qui, travaillant sur l’île de Rhodes, siège de l’ordre des Hospitaliers, attestait avoir trouvé chez les chevaliers hospitaliers ce qu’il est convenu d’appeler une tradition secrète des chevaliers du Temple. 

 

Il est probable que les frères templiers se soient intéressés à l’alchimie pour fabriquer des médicaments à base minérale. Il est probable aussi que les frères hospitaliers à Rhodes aient fait ce même genre d’expérience avec des résultats qu’on ignore mais certainement bien plus décevants que ce que les frères templiers s’étaient imaginés dans le roman de Wofram von Eschenbach. Et tout ceci bien avant que le médecin et alchimiste Paracelse (1493-1541) se glorifie d’avoir inventé la formule de ces nouveaux médicaments. 

 

Montsalvage, le mont de la pierre philosophale 

 

Ce qui attire notre attention dans cette définition de la pierre philosophale c’est qu'il est précisé que sa mine se trouve au sommet des montagnes. C’est à ce moment que nous comprenons que Montsalvage ne signifie pas le « mont du Salut »  comme beaucoup l’ont longtemps cru 15 mais plutôt le « mont du sel », nom de la pierre philosophale. 

 

Or voilà une chose bien curieuse. Il se trouve que vers les années 1156, les Templiers occitans vont faire construire une commanderie dans les Pyrénées françaises en comminges à proximité d’une ancienne carrière de sel, jadis exploitée par les Romains. Ce lieu s’appelle Montis Salnensis, c’est-à-dire le mont du sel, aujourd’hui Montsaunès. Dans les textes médiévaux comme L’Historia de Guillaume de Puylaurens, Montsaunès s’écrit « Monte Savesio ». Quant au Flores Chronicorum de Bernard Gui, Montsaunès s’écrit « Montem Salves ». 16

 

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Doit-on y voir une simple coïncidence, un hasard pur et simple? On peut en douter, surtout que d’après le cartulaire de cette commanderie,17 les principaux bienfaiteurs de la commanderie templière de Montsaunès sont en premier lieu les comtes de Comminges, puis leurs vassaux les seigneurs de Montpezat ainsi que les seigneurs de Roquefort. 

 

Il se trouve qu’au moment où Gervais de Tilbury,18 alias  Kyot le Provençal, remanie le conte du Graal de Chrétien de Troyes dans son palais à Arles en Provence, pour soutenir la cause de l'empereur guelfe Otton IV de Brunswick, la province templière de Provence est dirigée en 1200 par le maître Foulques de Montpezat19 et le bailli de cette province est Hugues de Roquefort. Les familles de ces deux templiers font partie des principales bienfaitrices de la commanderie templière de Montsaunès avec les comtes de Comminges. 

 

On comprend pourquoi Kyot le Provençal parle de ces sujets avec un flou artistique savamment dosé. Pour reprendre les expressions que l’on trouve dans les écrits de Robert de Chester: assez pour « que celle-là ne nous soit pas totalement cachée » mais pas trop pour que « ne la révèlent pas aux sots comme une science vulgaire »

 

La bibliothèque d’Al-Mutaman

 

Le Livre de Cratès est placé parmi les trois ou quatre traités d’alchimie les plus importants avec la Turba Philosophorum et la Table d’Émeraude, dont une version latine se trouve à la fin du Livre des Secrets de la création de Bãlinus traduit par Hugues de Santalla en 1140 pour son protecteur, l’évêque de Tarazona Michel Cornel. Il reste cependant très difficile d’évaluer l’ampleur et la qualité des manuscrits conservés par les rois musulmans des différentes taïfas al-andalus, surtout qu’au Moyen-Âge la prudence était de mise.

 

Nous savons qu’à cette époque certaines bibliothèques comportaient deux faces: l’une ouverte à tous et ne suscitant aucune objection particulière et l’autre où l’on accédait par des portes dérobées vers une littérature interdite. Une bibliothèque secrète, dévoilée aux seuls initiés, à la nouvelle religion d’Hermès. 20

 

Un témoignage nous est donné par ce traducteur : Hugues de Santalla qui a développé son activité à Tarazona grâce au patronage de l’évêque Michel de Tarazona (1119-1151). Cet évêque était issu du mouvement canonique des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse. L'évêque Michel de Tarazona fit plusieurs dons à ses amis Templiers.21 Voici la dédicace du traducteur à son évêque: « Monseigneur l’évêque de Tarazona, puisque moi, Sanctalliensis, je ne peux personnellement satisfaire votre demande, j’offre à votre dignité la traduction de ce commentaire… que votre insatiable avidité philosophique méritait de trouver dans un placard à Rota, dans le plus secret de la bibliothèque. » 22

 

Hugues de Santalla offrait à son évêque un commentaire d’Al-Biruni sur les Tables d’Al-Khwârizmî qui se trouvait à Rota, c’est-à-dire dans la forteresse de Rueda del Jalon, dernier refuge du roi de la grande cité de Saragosse qui fut chassé de sa taïfa par les Almoravides en 1110.

 

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Le roi de Saragosse, Imad al-Dawla (110-1130), descendant de la dynastie des Banû Hûd pour se venger des très conservateurs Almoravides, fit alliance avec le roi très chrétien d’Aragon, Alphonse Ier le Batailleur. Ensemble, ils luttèrent contre les Almoravides et finirent par les chasser de la cité de Saragosse le 18 décembre de l’an de grâce 1118. 

 

La particularité des anciens rois de Saragossse c’est qu’ils possédaient une des plus riches bibliothèques scientifiques du monde Al-Andalus: la bibliothèque d’al-Mutaman qui rassemblait tout ce que le monde musulman connaissait en matière de géométrie, de mathématiques, d’astronomie, de médecine et de philosophie. La grande cité de Saragosse fut à la pointe de la recherche scientifique dès la fin du XIe siècle. Il semble cependant que les rois de Saragosse ne furent pas de très bons musulmans et qu’ils pratiquaient secrètement la magie et les arts divinatoires. 

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L’autre aspect de la bibliothèque d’Al-Mutuman c’est sa propension à accumuler les livres de sciences occultes, comme l’alchimie, l’astrologie, et tout ce qui entoure la magie divinatoire. 

 

La bibliothèque des anciens rois de Saragosse était loin d’être la plus imposante dans la péninsule ibérique mais toutes les autres bibliothèques du monde musulman étaient en majeure partie constituées de livres religieux, liés à des commentaires du Coran. À Saragosse, dans le merveilleux palais de l’Aljaferia, ce n’est pas le bon Dieu qui faisait recette mais plutôt la gnose et l’hermétisme. 

 

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Dès le VIIIe siècle, des textes issus de diverses écoles d’hermétisme ou nommément attribués à Hermès Trismégiste furent diffusés en milieu musulman et l’ésotérisme musulman finit par intégrer Hermès Trismégiste comme un prophète sous le nom d’Idris, qu’Allah éleva à une place sublime, celle de réconciliateur entre le passé païen égyptien, araméen, mazdéen, judéo-chrétien, et la science musulmane incluant les sources hermétiques dans le domaine de la révélation religieuse. 

 

Dans cet univers ésotérique, la dynastie des Banû Hûd, rois de Saragosse, fit figure de prophètes de cette religion hermético-musulmane ouverte aux autres religions.

 

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À tel point que les rois chrétiens d’Espagne vont se disputer leurs faveurs et à ce petit jeu c’est le roi de Castille, Alphonse VII, qui vers les années 1139-1141, va offrir un pont d’or au dernier descendant de la lignée des rois de Saragosse Al-Mutansir (1130-1146) en lui offrant des possessions à Tolède et dans son royaume, ce qui permettra aux Castillans d'obtenir l'appui militaire de ses préceux alliés et de voir transférer la bibliothèque d’Al-Mutaman de la forteresse de Rueda Del Jalon en Aragon à la grande cité de Tolède en Castille. Ce transfert se fera à la grande satisfaction des moines clunisiens, enchantés de priver les chanoines réguliers de leur principale source de connaissances ésotériques. 

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On peut émettre l’hypothèse que Robert de Chester a traduit en 1144 son livre d’alchimie à Tolède mais que cet ouvrage provenait de la bibliothèque Al-Mutaman récemment transférée dans cette ville. 

 

On pense aujourd’hui que la principale source, voire l’unique source, des traductions de l'arabes au latin dans les régions d’Aragon et de Catalogne, au tout début du XIIe siècle provenait de cette bibliothèque d’Al-Mutaman. Même des savants juifs de Barcelone comme Abraham bar Hiyya Hanassi (1070-1145) sont soupçonnés d’avoir puisé leurs sources dans cette bibliothèque. Son livre de géométrie sur le calcul des aires et volumes sera traduit à Barcelone en latin en 1145 par l’italien Platon de Tivoli sous le nom de Liber Embadorum, ouvrage qui par la suite sera étudié par Leonardo Fibonacci.

 

Pons de Montpezat un abbé initié

 

Pendant  plus de vingt ans, de 1119 à 1141, les chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse, par l’intermédiaire de leur évêque de Tarazona, ont pu se plonger avec avidité dans les placards de la bibliothèque d'Al-Mutaman. Nous estimons que c’est avec la nomination en 1175 de Pons de Montpezat23comme abbé des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse et avec l’entrée en mars 1176 comme templier de son seigneur Bernard III comte de Comminges dans la commanderie de Montsaunès, que va se monter dans les Pyrénées françaises, à Montsaunès ( « le mont du sel » du nom de la pierre des philosophes) la maison de sagesse des Templiers occitans. 

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Des liens étroits existaient entre la commanderie templière de Montsaunès et l’abbaye des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse qui réglaient leur liturgie comme le prouve le monstre solsticial présent dans ces deux établissements religieux. 

  11 baphomets de saint sernin et de monsaunes

 

 

Dans le cartulaire de la commanderie templière de Montsaunès, No57 à la date du 21 juin 1179, Pons de Montpezat et son frère Pélerin cèdent leurs droits aux Templiers sur la Pujole contre 50 sous morlaas.24 On se rend compte que toute la famille de Pons fait partie des généreux donateurs de cette commanderie qui se situe à quelques encablures du château familial des Montpezat.25 

 

chateau

 

Un des frères de Pons de Montpezat, Arnaud Bafet, apparaît à maintes reprises comme donateur de la commanderie de Montsaunès, cartulaire: No18, No23, No26, No32, No35, No36. On le retrouve par exemple à Tarbes, le 19 novembre 1177, où il fait donation aux Templiers de Montsaunès du casal d'Amiel de Saint-Quintin en Ballonge. La belle-soeur de Pons de Montpezat Sancia Vaca, veuve de son frère Raymond Garsie de Montpezat, ainsi que ses neveux, Austor de Montpezat et Bernard Alegre de Montpezat, sa femme et ses fils, donnent diverses pièces de terre et de prés aux Templiers de Montsaunès cartulaire: No12, No13 No17, No19, No20, No22, No27, No52. En comparaison, les donations de Bernard IV, comte de Comminge, leur seigneur, paraissent plus modestes même si , comme son père Bernard III dit " Dodon" templier à Montsaunès, il choisira comme nécropole cette commanderie. 

 
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On relève aussi, en juin 1164, cartulaire No97, le don par Gilbert de Roquefort, son fils Arnaud Guilhem et ses parents aux templiers d'un casal; en 1184 à Saint-Gaudens, cartulaire No8, don par Béraud de Roquefort aux templiers , de sa personne et de ce qu'il avait avec dame Marthe, sa tante, à Saint-Gaudens et sur la dîme de latoue . Cartulaire No71, cession de serfs au bénéfice des Templiers de Montsaunès par Bonhomme de Roquefort, son fils et ses frères, ainsi qu'un don par Bonhomme de Roquefort et Aner, son fils, aux templiers d'une terre, cartulaire No40.

 

Il y a peu de doute pour que ce soit les chanoines toulousains qui sous l'autorité de leur abbé ont fait le travail de transmettre aux Templiers de Montsaunès à partir des années 1175-1176, les ouvrages scientifiques traduits en latin depuis les territoires d’Aragon et de Catalogne dans la première moitié du XII°siecle. 

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la lettre Ω

 

Dans cette perspective, un détail nous interpelle. On trouve au-dessus du P du chrisme sur le tympan de l’église templière de Montsaunès la lettre Oméga.

 

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On retrouve systématiquement cette lettre Oméga majuscule sur les chrismes figurés à l'intérieur de l'église, ce qui démontre que ce n'est pas un détail anodin pour les Templiers de Montsaunès.

 

2 omega

 

Or tous ceux qui se sont penchés sur la littérature alchimiste savent que le plus grand des alchimistes connu au Moyen-Age sous le nom de Rosinus, alias Zozime de Panopolis, avait construit ses leçons sur l’alchimie selon l’alphabet grec. À chaque lettre de cet alphabet correspond un apprentissage lié à son art. Arrivé à la lettre Oméga, Zozime de Panopolis ne se contente plus de décrire des expériences pratiques: il décide de nous révéler la spiritualité secrète des alchimistes. 

 

Le texte complet de cet enseignement sera mis en annexe de l’article. Il relève en partie de la gnose Sethienne, c’est-à-dire de cette gnose développée dans la région d’Edesse  et qui fait le lien entre la gnose chrétienne et l’ancienne religion des mages perses avec comme figure tutélaire Zoroastre. On retrouve la figure de Zoroastre dans le roman du Graal du Parzival de Wolfram von Eschenbach.26 Si Hermès Trismégiste restera un philosophe de la nature qui sait garder ses distances avec Destinée, pour Zoroastre, c’est une toute autre affaire. Nous sommes dans cette culture qui rappelle le prophète Balaam et les Rois Mages.

 

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Mais Zoroastre nous entraîne aussi résolument dans l’univers de la magie.  Sur ses conseils, on n’hésitera pas à invoquer le concours des démons pour soumettre Destinée à nos propres fins. De mage pratiquant la magie salomonienne, on finit vite par désirer devenir un puissant sorcier.27 C’est tout le danger de la gnose sethienne car sous prétexte de maîtriser les sciences les plus occultes, on finit toujours par inviter le diable parmi les convives du banquet. 

 

Nous redoutons que la lettre Oméga mises en avant sur le tympan de l’église templière de Montsaunès soit aussi la clé de l’enseignement secret délivré chez les Templiers de Montsaunès.

 omege croix grecque

 

Après le concile de Vienne et la suppression de l’ordre des Templiers, fulminée par la bulle « Vox in Excelso » le 22 mars 1312, suivie de la bulle « Ad providam » du 2 mai 1312 qui décrète que les biens du Temple passeront aux mains des Hospitaliers, l’église de Montsaunès, qui sous les Templiers était dédiée à la Vierge Marie, changera de patronage sous les Hospitaliers  pour être dédiée à Saint-Christophe.

 

Ce changement de vocable signifiait-il une rupture radicale avec la gnose des Templiers de Montsaunès? Quand on découvre le Saint-Christophe représenté dans la tour Ferrande à Pernes-les-Fontaines dans le comtat Venaissin, on peut en douter.

 saint christophe

 

Le comtat Venaissin en Provence faisait partie des possessions des comtes de Toulouse avant d’être annexées en 1274 par l’Église romaine. Devenu état pontifical, le comtat Venaissin fut administré par l’ordre des chevaliers hospitaliers. Pernes-les-Fontaines était le siège administratif de ce petit état pontifical. 

 

Les puissant seigneurs des Baux de Provence, qui prétendaient descendre du roi mage Balthazar, y possédaient un palais dont la tour richement décorée est encore debout. Barral Ier de Baux (1217-1270) avait exercé la charge de sénéchal du comtat venaissin pour le compte de Raymond VII de Toulouse dont il avait épousé la nièce Sybille d’Anduze. 

 

Il semblerait que le commanditaire des fresques de la tour Ferrande, datées autour des années 1323-133128, soit un des descendants de ce roi mage en la personne de Barral II de Baux (1301-1331), chevalier de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et de Rhodes et commandeur de Gap. 

 

À l’entrée de la salle principale de la tour Ferrande est représenté la Vierge Marie portant l’enfant Jésus, jadis honorée par les Templiers. 

 la vierge marie

 

Face à la Vierge Marie se situe la représentation de Saint-Christophe portant le Christ sur ses épaules, qui tient dans sa main un livre fermé. On remarque sur cette fresque que le monogramme du Christ IHS: Iesus Hominum Salvator (Jésus Sauveur des Hommes)29 est surmonté de la fameuse lettre oméga majuscule.

 

IHS

 

Ce détail particulier nous incite à considérer le fait que certains chevaliers influents de l’ordre des Hospitaliers auraient pu porter l’enseignement secret des Templiers de Montsaunès au sein même des états pontificaux. 

 

Nous n’oublions pas qu’en 1372 le frère carmélite Jean de Hildesheim, qui a fréquenté la cour pontificale à Avignon, publiera une histoire des rois mages où au passage il révèle les liens particuliers qui existaient entre la maison seigneuriale des Baux et l’ordre des Templiers30. Quant aux liens privilégiés des seigneurs des Baux de Provence avec la cour pontificale, une charte de la maison des Baux31 nous informe que Barral II de Baux concède une dot à sa soeur Cécile de Baux pour son mariage en 1314 avec Raymond Guillaume de Budos, neveu du pape Clément V (1305-1314).

 

Raymond Guillaume de Budos a été nommé par son oncle le pape Clément V, qui vient d’installer la cour pontificale à Avignon, recteur du comtat Venaissin en 1310, fonction qu’il occupera jusqu’en 1316.

 

Si le pape Clément V s’est résolu à abolir l’ordre des Templiers sous la pression du roi de France Philippe le Bel, non sans amertume et en considération des insinuations bruyantes élevées contre cet ordre, il s’est cependant toujours refusé à les condamner.

 

Le pape Clément V, comme les seigneurs des Baux de Provence descendants des rois mages, était certainement plutôt favorable au projet de fusion de l’ordre des Templiers avec celui des Hospitaliers32, projet de fusion en gestation au sein de la curie romaine depuis le concile de Lyon en 1274. Selon Alexandre du Mège,33 le chevalier templier Célèbrun de Pins qui fut plusieurs fois commandeur de Montsaunès dans la période 1280-1303, qui est aussi à l'origine de la charte de coutumes de Montsaunès du 5 avril 1288,

 

charte Montsaunes

 

serait de la même famille que le grand maître des Hospitaliers Ondo de Pins ou Eudes des Pins (1294-1296), de Gérard de Pins nommé vicaire général de l'ordre des Hospitalers en 1317 et du grand maître des Hospitaliers Roger de Pins (1355-1365).

 

Gerard De pins

 

Rappelons-nous que Clément V, avant d’être élu pape, avait été évêque de Comminges de 1295 à 1299, diocèse dont dépendait la commanderie templière de Montsaunès. C’est notamment Clément V qui est à l’origine de la reconstruction en style gothique de la cathédrale Sainte Marie à Saint-Bertrand de Comminges à partir de 1307, qu’il visitera de nouveau en janvier 1309 en tant que pape. Cathédrale qui présente sur son tympan une intéressante scène de l’Adoration des mages.34 

  adoration

 

Conclusion

 

Notre impression est que les anciens rois de la grande cité de Saragosse, les Banû Hûd,  grâce à leur exceptionnelle bibliothèque scientifique et mystique d’Al-Mutaman et en prêtant leur concours à la reconquête de l’Espagne par les Chrétiens d’Occident, ont été considérés comme faisant partie des Rois Mages, se mettant au service de la Vierge Marie et de l'Enfant Jésus. Les Banû Hûd ont probablement participé à diffuser cette religion de la gnose présente dans le monde musulman et qui va se répandre comme une traînée de poudre chez les Occidentaux. À cet égard, la nature des traductions d'hugues de Santalla pour son évêque Michel Cornel sont révélatrices: ce sera une accumulation de versions latines de traités d'alchimie, d'astronomie, d'astrologie et de géomancie. Il faut remarquer cependant que les chanoines réguliers vont financer plusieurs traducteurs pour s'attaquer à la bibliothèque d'Al-Mutaman. Et le plus prestigieux d'entre eux reste Herman de Carinthie.

 Traduction planisphere

 

Herman de Carinthie traduit vers les années 1142-1143 à Toulouse, chez nos chanoines réguliers de Saint-Sernin, le planisphère de Ptolémée qu'il dédie à son maître Thierry de Chartres. Précisons que planisphère peut se traduire par, plan du ciel ou carte du ciel. Carte du ciel que l'on retrouve précisément à Saint-Sernin.

 

Ciel st sernin

 

Dans un esprit de rivalité politique, les moines clunisiens, bien implantés dans le royaume de Castille, vont chercher à débaucher ces traducteurs avant de réussir à mettre la main sur la bibliothèque d'Al-Mutaman. Malgré tout, les chanoines réguliers toulousains ainsi que leurs amis les Templiers occitans semblent être restés en première ligne dans la captation de cette gnose qui sera exploitée lors de la création du Second royaume de Jérusalem (1192), implanté à Saint-Jean-d'Acre. Paradoxalement, ces Templiers occitans ne seront pas ceux qui seront les plus inquiétés lors du procès des Templiers. 

 

Mais pouvait-on condamner la mémoire des comtes de Barcelone rois d’Aragon, qui entrés au Temple ont créé le second ordre des Templiers en Espagne en 1143? Pouvait-on condamner la mémoire des comtes de Comminges qui sont entrés comme Templiers dans la commanderie de Montsaunès? Pouvait-on condamner Pons de Montpezat, abbé des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse, en charge de la liturgie romaine dans le royaume d’Aragon?

 

Trop de monde en Occitanie et en Espagne était impliqué dans cette étrange reconquête pour qu’on ne préfère pas déposer un voile pudique sur des réalités qu’il n’était pas bon de divulguer au vulgaire. Surtout que contrairement à l’église cathare et aux Albigeois, les gnostiques ont cette culture du secret qui arrangeait bien les affaires des autorités religieuses. 

 

Réaffirmons que le contenu de cet article se présente comme une hypothèse de travail. Tant que nous n'aurons pas retrouvé de traduction latine du texte de Rosinus sur la lettre Oméga, rien ne prouve avec certitude que les frères templiers aient eu connaissance de ce texte.

 

Cela dit, les recherches que les Templiers occitans ont mené à Montsaunès ont probablement contribué à faire évoluer la connaissance des Latins dans plusieurs domaines scientifiques. On pense particulièrement à notre conception de l’espace telle qu’elle apparaît définie dans l'Enfer de la Divine Comédie du sieur florentin Dante Alighieri. La tradition latine dans sa vision universelle du monde, nourrie à l'école de platon et de pythagore,35 a toujours eu tendance à rechercher des preuves ontologiques36 de l’existence de Dieu37, ce qu'au Moyen Âge on va appeler la Divine Ténèbre c'est-à-dire la théologie négative issue des leçons du pseudo-Denys l'Aréopagite.38

 
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L’originalité des frères templiers, ou leur lucidité, fut leur propension à utiliser l’art de la géométrie pour construire un espace unifié basé sur l’infini (pi) d'origine néoplatonicienne à l'image d'une sphère parfaite39 et qui permet aux géomètres de mettre plusieurs points de vue sur un même plan pour concevoir un objet en trois dimensions40, mais il vont considérer que la reconnaissance de cet art nécessaire pour construire un monde multipolaire n’est que le pâle reflet aux couleurs d’émeraude d’une réalité qui nous transcende tous. 

 

fiore

 

C’est évidemment le statut du pouvoir laïc qui prend naissance chez les frères templiers, avec comme légitimité la reconnaissance des structures symboliques qui sont les fondements de toute organisation internationale implantée à Jérusalem, lieu sacré des trois religions monothéistes. Cette connaissance reste cependant réservée à cette élite au statut de laïc qui n’avait pas pris parti pendant la lutte décrite dans l’antique Livre d’Hénoch.

 

Placé dans cette lutte entre les mauvais anges et les bons anges, Wolfram von Eschenbach s’interroge: « Il y avait des anges qui n’avaient pas voulu prendre parti quand commença la lutte de Lucifer et de la Trinité. Tous ces anges, nobles et bons, Dieu les a contraints à descendre sur terre pour garder cette pierre. Et la pierre n’a pas cessé d’être pure. Je ne sais si Dieu pardonna à ses anges, ou s’il résolut leur perte. Il dut les rappeler à lui, si sa justice ne s’y opposait pas. Depuis lors la pierre est gardée par ceux que Dieu lui-même à désignés et à qui il a envoyé un de ses anges [ Hermes Idris?]. Voilà, seigneur, ce qu’est le Graal. » 41

par Jean-Pierre SCHMIT

Annexe


Cette traduction par M. Berthelot du texte grec est moins satisfaisante que celle de Michèle Mertens mais elle est accessible en ligne: https://remacle.org/bloodwolf/alchimie/alchimieIII.htm#L

DU MÊME ZOSIME SUR LES APPAREILS ET FOURNEAUX. COMMENTAIRES AUTHENTIQUES SUR LA LETTRE OMÉGA

 L’élément W est rond, formé de deux parties : il appartient à la septième zone, celle de Saturne, dans le langage des êtres corporels; car dans le langage des incorporels, il y a une autre chose qui ne doit pas être révélée. Nicothée seul (la) sait, lui le personnage caché. Or, dans le langage des êtres corporels, cet élément est appelé l’océan, l’origine et la semence de tous les dieux. Tels les principes fondamentaux du langage des êtres corporels.Sous le nom de ce grand et admirable élément W, on comprend la description des appareils de l’eau divine, celle de tous les fourneaux simples et machinés, de tous, absolument parlant.

 Zosime (s’adressant) à Théosébie, lui explique ceci avec bonne volonté. (L’exposé des) teintures convenables, ô femme, a fait tourner en ridicule mon livre sur les fourneaux. En effet, beaucoup (d’écrivains), remplis de bienveillance pour leur propre génie, se sont moqués des teintures convenables et ils ont regardé le livre sur les fourneaux et appareils comme n’étant pas conforme à la vérité. Aucun discours ne peut leur persuader ce qui est la vérité, s’il n’est inspiré par leur propre génie. Par un destin fatal, ce qu’ils avaient reçu, ils le tournaient à mal dans leur langage, au détriment de l’art et de leur propre succès, les marnes mots étant détournés malheureusement dans les deux sens (opposés). C’est avec peine que, contraints par la nécessité des démonstrations, ils accordaient quelque point, même au sujet des choses qu’ils avaient comprises précédemment. Mais de tels auteurs ne doivent être approuvés, ni par Dieu, ni par les philosophes. Car les temps (des opérations) étant désignés dans le dernier détail, et après que le Génie les a favorisés dans l’ordre corporel, ils refusent d’accorder un autre point, oubliant toutes les choses évidentes qui précèdent. Ils ont dû partout obéir à la destinée, pour les choses déjà dites et pour leurs contraires, sans pouvoir rien imaginer d’autre, relativement aux êtres corporels; (je dis) rien d’autre que l’ordre fatal de la destinée. Les hommes de cette espèce, Hermès, dans le traité sur les Natures, les appelait des insensés, propres seulement à faire cortège à la destinée, mais incapables de rien comprendre aux choses incorporelles, ni même de concevoir la destinée qui les conduit avec justice. Mais ils font outrage à ses enseignements sur les êtres corporels, et ils se livrent à des imaginations étrangères à leur propre bonheur.

 Hermès et Zoroastre ont déclaré que la race des philosophes est supérieure à la destinée. En effet, ils ne jouissent pas du bonheur qui vient de celle-ci. Dominant ses plaisirs, ils ne sont pas atteints par les maux qu’elle cause; vivant toujours dans leur for intérieur, ils n’acceptent pas les beaux présents qu’elle offre, parce qu’ils en voient la fin malheureuse. C’est pour cette raison qu’Hésiode nous présente Prométhée donnant des conseils à Epiméthée: « Quel est le bonheur que les hommes jugent le plus grand de tous? Une belle femme, dit-on, avec beaucoup d’argent. » Il dit qu’il ne reçoit aucun présent de Jupiter Olympien; mais il les rejette, enseignant à son frère qu’il doit repousser, au nom de la philosophie, les présents de Jupiter, c’est-à-dire les dons de la destinée.

 Quant à Zoroastre, se glorifiant de la connaissance de toutes les choses supérieures et de celles de la magie, il dit qu’il se détourne du langage des êtres corporels; que tout ce qui vient de la destinée est mauvais, soit en détail, soit dans l’ensemble. Hermès, toutefois, parlant des choses extérieures, condamne la magie, disant que l’homme spirituel, celui qui se connaît lui-même, ne réussit en rien par la magie, et ne regarde pas comme convenable de violenter la nécessité. Mais il laisse aller (les choses), telles qu’elles vont de nature et d’autorité. Il a pour seul objet de se chercher lui-même, de connaître Dieu, et de dominer la triade innommable. Il laisse la destinée faire ce qu’elle veut, en la laissant agir sur le limon terrestre, c’est-à-dire sur le corps. Il s’exprime ainsi : « Si tu comprends et si tu te conduis convenablement, tu contempleras le fils de Dieu, devenu tout en faveur des âmes saintes. Pour tirer ton âme du sein de la région (corporelle), régie par la destinée, (et l’amener) vers la (région) incorporelle, vois comme il est devenu tout, (c’est-à-dire à la fois) Dieu, ange, et homme sujet à la souffrance. En effet pouvant tout, il devient tout ce qu’il veut; il obéit à son père, en pénétrant tout corps, en éclairant l’esprit de chacun; il s’est élancé dans la région heureuse, là où il était avant d’avoir pris un corps. Tu le suivras, excité et guidé par lui vers cette lumière.

Regarde le tableau que Cébès a tracé, ainsi que le trois fois grand Platon et le mille fois grand Hermès; vois comment Toth interprète la première parole hiératique, lui le premier homme, interprète de tous les êtres, et dénominateur de toutes les choses corporelles. Or les Chaldéens, les Parthes, les Mèdes et les Hébreux le nomment Adam: ce qui signifie terre vierge, terre sanglante, terre ignée et terre charnelle. Ces choses se trouvent dans les bibliothèques des Ptolémées, déposées dans chaque sanctuaire, notamment au Sérapéum; (elles y ont été mises) lorsque Asenan, l’un des grands prêtres de Jérusalem, envoya Hermès, qui interpréta toute la Bible hébraïque en grec et en égyptien.

C’est ainsi que le premier homme est appelé Toth parmi nous, et parmi eux, Adam; nom donné par la voix des anges. On le désigne symboliquement au moyen des quatre éléments, qui correspondent aux points cardinaux de la sphère, et en disant qu’il se rapporte au corps. En effet, la lettre A de son nom désigne l’Orient (‘Ἀνατολή) et l’Air (Ἀήρ). La lettre D désigne le couchant (Δύσις), qui s’abaisse à cause de sa pesanteur. La lettre M montre le Midi (Μεσεμβρία), c’est-à-dire le feu de la cuisson qui produit la maturation des corps, la 4e zone et la zone moyenne. Ainsi l’Adam charnel, sous sa forme apparente, est appelé Toth ; mais l’homme spirituel contenu en lui (porte un nom) propre et appellatif. Or nous ignorons jusqu’à présent quel est ce nom propre; car Nicothée, ce personnage que l’on ne peut trouver, savait seul ces choses. Quant au nom appellatif, c’est celui de φῶς (lumière, feu) : c’est pour cela que les hommes sont appelés φῶτες (mortels).

 Lorsqu’il était dans le Paradis sous forme de lumière (φῶς), soumis à l’inspiration de la destinée, ils lui persuadèrent en profitant de son innocence et de son incapacité d’action, de revêtir le (personnage d’)Adam, celui qui (était soumis à) la destinée, celui qui (répond) aux quatre éléments. Lui, à cause de son innocence, ne refusa pas; et ils se vantaient d’avoir asservi (en lui) l’homme extérieur.

C’est dans ce sens qu’Hésiode a parlé du lien avec lequel Jupiter attacha Prométhée. Ensuite, après ce lien, il lui en envoie un autre, (c’est-à-dire) Pandore, que les Hébreux nomment Ève. Or, Prométhée et Épiméthée, c’est un seul et même homme dans le langage allégorique; c’est l’âme et le corps. Prométhée est tantôt l’image de l’âme; tantôt (celle) de l’esprit. C’est aussi l’image de la chair, à cause de la désobéissance d’Épiméthée, commise à l’égard de Prométhée, son propre (frère).

Notre intelligence dit : Le fils de Dieu, qui peut tout et qui devient tout lorsqu’il (le) veut, se manifeste comme il veut à chacun. Jésus-Christ s’ajoutait à Adam et (le) ramenait au Paradis, où les mortels vivaient précédemment.

 Il apparut aux hommes privés de toute puissance, étant devenu homme (lui-même), sujet à la souffrance et aux coups. (Cependant), ayant secrètement dépouillé son propre caractère mortel, il n’éprouvait (en réalité) aucune souffrance; et il avait semblé fouler aux pieds la mort, et la repousser, pour le présent et jusqu’à la fin du monde : tout cela en secret. Ainsi dépouillé des apparences, il conseillait aux siens d’échanger aussi secrètement leur esprit avec celui de l’Adam qu’ils avaient en eux, de le battre et de le mettre à mort, cet homme aveugle étant amené à rivaliser avec l’homme spirituel et lumineux: c’est ainsi qu’ils tuent leur propre Adam.

 Ces choses se font jusqu’à ce que vienne le démon Antimimos; jaloux d’eux et voulant les induire de nouveau en erreur, il se dit lui-même fils de Dieu; bien qu’étant sans forme (originale), ni d’âme ni de corps. Mais devenus plus sensés, par suite de la prise de possession de celui qui est réellement fils de Dieu, ils lui abandonnent leur propre Adam; immolant leurs esprits mortels, ils demeurent sauvés, dans le lieu particulier où ils se trouvaient avant (la création du) monde. Ainsi, avant d’accomplir ces choses, il envoie d’abord l’Antimimos, le rival, son précurseur, sorti de la Perse, lequel tient des discours pleins d’erreurs et de fables, et dirige les hommes suivant la destinée. Or les éléments de son nom sont au nombre de neuf, la diphtongue étant conservée, suivant le but que se propose la destinée. Ensuite, après sept périodes, plus ou moins, il viendra aussi lui-même, en vertu de sa nature propre.

 Ces choses sont dites seulement par les Hébreux, ainsi que par les livres sacrés d’Hermès sur l’homme lumineux et sur le fils de Dieu, son guide; sur l’Adam terrestre et sur Antimimos son guide, qui se dit, par blasphème et erreur le fils de Dieu. Or les Grecs appellent l’Adam terrestre Epiméthée : ce qui veut dire conseillé par son esprit particulier, c’est-à-dire par son frère, qui lui disait de ne pas accepter les dons de Jupiter. Toutefois, s’étant abusé et repenti, et ayant cherché La région heureuse, il explique tout, et il conseille en tout ceux qui ont un entendement spirituel. Mais ceux qui n’ont qu’un entendement corporel, appartiennent à la destinée; ils n’admettent ou ne confessent rien d’autre.

 Tous ceux qui (font des teintures) convenables et réussissent (par hasard) ne disent pas autre chose; ils persiflent l’art exposé dans le grand livre sur les fourneaux, et ils ne comprennent pas non plus le Poète lorsqu’il dit :

« Mais les Dieux n’avaient pas encore donné en même temps aux hommes.... etc. »

Ils ne réfléchissent à rien et ne voient pas les divers genres de vie des hommes: comme quoi les hommes réussissent différemment dans un seul (et même) art; comment ils opèrent différemment dans un seul (et même) art; comment ils pratiquent un seul (et même) art, au moyen des caractères et des figures diverses des astres (?). Ils ne voient pas que tel artisan est paresseux (?), tel artisan isolé; tel autre dégénère, tel devient pire, tel ne progresse pas. Il arrive aussi que l’on rencontre dans tous les arts des gens qui travaillent un même art avec des outils et des procédés différents, et qui ont à un degré différent l’intelligence et la réussite.

 Parmi tous les arts, c’est surtout dans l’art sacré qu’il convient de considérer ces choses. Par exemple, après une fracture, si le patient rencontre un prêtre (habile, celui-ci agissant de sa propre inspiration, réunit les fragments, de telle sorte que l’on entend le craquement des os qui se rejoignent. Si l’on ne trouve pas un tel prêtre, que le blessé cependant ne craigne pas de mourir, mais que l’en amène des médecins avec leurs livres, pourvus de dessins et de figures ombrées. Etant pansé conformément aux lignes des figures du livre, le blessé est entouré de liens mécaniquement et il continue à vivre, après avoir repris la santé. Nulle part l’homme ne se résigne à mourir, faute de trouver un prêtre qui réunisse les fractures.

Au contraire, ceux-ci, les malheureux (ignorants), se laissent mourir de faim, plutôt que d’apprendre à connaître et à pratiquer la description des fourneaux, telle qu’elle est tracée: c’est par là que, devenus bienheureux, ils triompheraient de la pauvreté, cette maladie incurable. En voilà assez sur ce chapitre.

 Quant à moi j’arrive à mon sujet, qui concerne les fourneaux. Ayant reçu les lettres que tu as écrites, j’ai vu que tu m’invites à rédiger pour toi la description des appareils. J’ai été surpris de voir que tu écrives pour obtenir de moi la connaissance des choses qui ne doivent pas être connues; n’as-tu pas entendu le Philosophe; lorsqu’il dit: « Ces choses, je les ai passées volontairement sous silence, parce qu’elles sont décrites amplement dans mes autres écrits »? Cependant tu as voulu les apprendre de moi; ne crois pas du reste que mon écrit soit plus digne de foi que celui des anciens, et sache que je ne pourrais pas (les surpasser). Mais, afin que nous entendions tout ce qui a été dit par eux, je vais t’exposer ce que je sais. Voici ce que c’est.

 

 

Notes.

1. Wolfram von ESCHENBACH, "PARZIVAL",traduction,introduction et notes Ernest Tonnelat,Editions Aubier Montaigne,Paris;1977; Tome 2; pp 36-37

2. La légende du Graal comme pierre luciférienne se trouve dans le poème allemand "der Sängerkrieg auf der Wartburg" écrit dans les années 1245-1260, voici le passage : "Dois-je dépeindre sa couronne ? Cette couronne fut fabriquée par les ordres de soixante mille anges qui voulaient enlever à Dieu le sceptre des cieux. Vois, Lucifer, c'est à toi qu'elle appartint ! Tous les vénérables et savants maîtres qui existent au monde savent bien que mes chants sont véridiques. L'ange saint Michel vit la colère de Dieu s'allumer contre un tel orgueil : il arracha la couronne de la tête de Lucifer, si bien qu'une pierre s'en détacha : cette pierre fut depuis confiée sur terre à Parcival.". Si Parcival garde la pierre, c'est la Vierge Marie qui possède dorénavant la couronne. Le tournoi poétique de la Wartburg traduit pour la première fois en français par L.c.e ARTAUD-HAUSSMANN, PARIS, 1865. pp 275-276.

3. Wolfram von ESCHENBACH? "PARZIVAL", Tome 2 ; p 38

4. MARTIN, François (traducteur du texte éthopien); "Le Livre d'Hénoch"; éditions Books on Demand; Paris; 2019 chapitre VIII, p. 17

5. KHAN, Didier, "Présence et absence de l'alchimie dans la littérature romanesque médiévale, de la renaissance et de l'âge baroque", Savoir et fictions au moyen age et à la renaissance , may 2008, Paris France; PP 3-4;<hal-00768993v5>

6. PALGEN, Rudolf, "Der stein der weisen.quellenstudien zum Parzival", Brelau; 1922

7. Wolfram von ESCHENBACH, "PARZIVAL", Tome 2, p 23

8. Emma JUNG et Marie louise von FRANZ, "Die graalslegende in psychologischer sicht"; Zurich-Stuttgart, Rascher Verlag; 1960

9. Nous connaissons deux traductions latines de l’ouvrage d’Abû Ma'Shar (Albumasar) intitulé l’Introductorium Maius in Astronomian , dont l’une de Jean de Seville en 1133, traducteur au service de l’archevêque de Tolède Raymond de Sauvetat, ancien moine clunisien, et l’autre de Herman de Carinthie en 1140, lui proche de l’Ecole de Chartres et des chanoines réguliers. Ces deux traductions ne semblent pas venir du même ouvrage et par conséquence proviendraient de deux bibliothèques différentes. Voir: Marie-Thérèse d’Alverny, « Humbertus de Balesma », p 136; Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen-Âge, volume 51; 1984; publié par la Librairie Philosophique J. Vrin

10. PONSOYE, Pierre; "L'Islam et le Graal", Étude sur l'ésotérisme du Parzival de Wolfram von Eschenbach; éditions Denoël; Paris 1958; pp. 26-27

11. ibid; pp. 27-30

12. Antoine de LOPHEM, ARCA Librairie, B-1390 Grez-Doiceau, Belgique."Petit livre de Morien le Romain" (Arca n° 2).

13. Le Livre de Cratès, Manuscrit arabe n°440 de la bibliothèque de Leyde, VIII°siecle ( a-p.JC)

14. Dans le Parzival, les pratiques de médecine que laissent transparaître le roman restent assez classiques pour le Moyen-Âge. On croit y déceler les trois méthodes de médecine: celle des plantes, celle des charmes et celle dit du « couteau ». Dans cette médecine médiévale, les pierres précieuses ont des vertus curatives. Mais comme le précise Gervais de Tilbury dans son Otia Imperialia, les péchés des hommes peuvent affaiblir ou détruire les vertus des gemmes. Wolfram von Eschenbach reproduit cette conviction quand les pierres précieuses ne guérissent pas le roi Anfortas mais ne font que le maintenir en vie. Au-delà des compétences propres au sieur Kyot le Provençal en matière de médecine, c’est bien la chimie des corps métalliques en rapport avec la médecine qui est en jeu dans la démarche de l’alchimie. On pense en particulier à l'utilisation de l’antimoine pour soigner les malades  pratiqué dès le XIème siècle en Occident par le médecin Constantin l’Africain (1020-1087) dans la célèbre école de médecine de Salerne en Italie. 

 Constantin l africain

 

Pourtant l’antimoine est un métalloïde très proche de l’arsenic, les alchimistes s’en servaient pour purifier l’or. Celui qui résume le mieux la pensée de l’époque sur les espoirs un peu fous qu'a susciter l’art de l’alchimie est le frère franciscain Roger Bacon (1220-1292) dans son Opus Maius: "Aristote dit à Alexandre: « je veux montrer le secret le plus grand »; et c’est bien le secret le plus grand, car non seulement il procurerait le bien de l’Etat et ce qui est désiré par tous à cause de l’or en suffisance, mais, ce qui est mieux, il permettrait de prolonger la vie à l’infini car cette médecine, qui enlèverait toutes les immondicités et corruptions du métal le plus vil, pour le transformer en argent et en or très pur, les sages pensent qu’il détient le pouvoir d’enlever les corruptions du corps humain, au point que la vie en serait prolongée pendant plusieurs siècles»

 

roger bacon

 

15. C'est dans le poème "Der Jüngere Titurel" attribué au poète allemand Albrecht von Scharfenberg datant de 1270 environ que l'on trouve la traduction de Montsalvage comme le Mont du Salut. Extrait du poème: « Dans la terre du Salut, dans la forêt du Salut, se dresse une cime solitaire appelée le Mont du Salut, que le roi Titurel ceignit d’un mur et sur lequel il édifia un précieux château pour servir de temple au Graal; parce que le Graal en ce temps là ne résidait pas en un lieu défini mais flottait, invisible, dans l’air.. La montagne était faite d’onyx, on en avait dénudé et poli le sommet jusqu’à ce qu’il brillât comme la lune. Le temple avait de hauts murs tout enrichi d’or et incrusté de gemmes, il était de forme circulaire et coiffé d’une coupole, et son toit était en or. À l’intérieur, son plafond était incrusté de saphirs pour représenter l’azur du ciel et constellé d’escarboucles. Un soleil d’or et une lune d’argent se déplaçaient dans les deux moitiés de la voûte par tout un jeu de mécanismes, et le claquement des cymbales marquait le passage des heures. »

16. HIGOUNET, Charles, "Trois dates relatives aux origines de la commanderie et de l'Eglise de Montsaunès", dans Revue de Comminges, t.LXV; 1952; p 53

17. HIGOUNET, Charles, "Cartulaire des Templiers de Montsaunès", dans Bulletin philologique et historique, comité des travaux historiques et scientifiques, années 1955/1956, Presse universitaire de France, 1957, PP 211-294

18. Dans Parzival Tome 2 Page 191, Wolfram von Eschenbach nous parle "d'un descendant de ce Virgile de Naples, qui avait lui aussi, inventé maint sortilège magique.". Gervais de Tilbury dans son ouvrage "Otia Impérialia" daté de 1210-1214 est connu pour avoir insisté sur le fait que Virgile de Naples serait le fondateur d'un rituel magique, l'ars Notaria ou Notoria, une branche de la magie Salomonienne. Ce détail confirme notre conviction que derrière Kyot le provençal se cache en réalité le Maréchal de la cour Impériale pour le royaume d'Arles en provence; Gervais de Tilbury. Voir notre article: "qui est Kyot le provençal?".

19. Dans le cartulaire des templiers du Marquis d'Albon, Foulques de Montpezat Maître en Provence et Aragon 1224-1228, est présent à Montsaunès, Brioude, Ruou.sceau templiersceau templier foulquesDepuis Mango Ier baron de Montpezat (1028-1088), l'arbre généalogique des seigneurs de Montpezat est très large et très incomplet. Il couvre l'Agenais, le Quercy et le Comminges. Geoffroy de Montpezat dans le comté de Comminges était sans doute le frère cadet d'Arnaud Ier de Montpezat d'Agenais et du Quercy. Les deux frères avaient épousé deux soeurs, Flandrine (ou Andrine ?) de Clairac l'ainée et Flandrine de Clairac la jeune. Le Gallia Christiana nous apprend que Geoffroy de Montpezat et sa femme Flandrine la jeune fondent en 1136 l'abbaye cistercienne de Bonnefont en Comminges, qui donna naissance vers 1140 à l'abbaye cistercienne de Pérignac dans l'Agenais grâce aux dons de Flandrine de Montpezat l'aînée . Proches des cisterciens, les seigneurs de Montpezat sont aussi proches des Templiers puisque Rainfroid Ier de Monpezat de Quercy (1145-1196) fait donation aux Templiers avant son départ pour la troisième croisade des terres de brulhe pour la création de la commanderie templière du Temple-sur-Lot qui deviendra le siège des commandeurs templiers d'Agen. DE BELLECOMBE André, Histoire du château, de la ville et des seigneurs et barons de Montpezat et de l'abbaye de Pérignac, AUCH, 1898.pp 254-273.


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20. Un des plus célèbres exemples de bibliothèques secrètes nous a été donné par Richard de Fournival (1201-1260) dans son ouvrage Biblionomia, qui est une description de la bibliothèque d’Amiens. Richard de Fournival a été chanoine puis chancelier du chapitre cathédral d’Amiens. Dans cette oeuvre, il spécifie que dans la bibliothèque, il existait une section secrète de 36 livres " la chambre secrète des philosophes ". Cette section ne pouvait être consultée qu’avec l’approbation du maître des lieux. Richard de Fournival, rattaché au haut clergé de l’église d’Amiens, est un gnostique patenté, auteur de facéties comme le Bestiaire d’Amour ou de traités d’alchimie.  Richard cumule les qualités d’astrologue, d’alchimistes, de médecin et probablement aussi celles de magicien dont le destin ressemble fort étrangement au personnage du magicien Flocart dans le roman d’Abladane.

21. Après le concile de Gérone en 1143, qui officialise la création d'un second Temple pour la reconquête de l'Espagne, Michel Cornel, évêque de Tarazona, fait donation le 13 mai 1144 aux Templiers de plusieurs maisons à Tarazona. Le 11 novembre 1145, il leur cède l'église de Ribaforada où les Templiers créent une commanderie chargée de protéger la vallée de l'Ebre et le 9 février 1148, il concède à l'ordre l'église d'Ambel (Chartes du Marquis d'Albon pour l'Espagne: ID 333  N° CCCXXXIV. ID 367 N°CCCLXVIII. ID 368 N°CCCLXIX. ID 500 N°DII ).

22.

23. GERARD, Pierre ; GERARD,Thérèse ; "Cartulaire de Saint-Sernin de Toulouse", Amis des Archives de la Haute-Garonne,Tome 1,1999 ; p117.Pons de Montpezat Abbé ( 1175-1198 ).

24. HIGOUNET, Charles, "Cartulaire des Templiers de Montsaunès"; No57, bulletin philologique et historique, comité des travaux historiques et scientifiques- année 1955/1956, Presse universitaires de France, 1957.

25. De Latour, Patrick; "Les Montpezat de Saint-Martory, fondateurs de l'abbaye cistercienne de Bonnefont en Comminges. Révision généalogique XI-XII", dans: Revue de Comminges; année 2001, volume 117, numéro 2; pp 193-204

26. Wolfram von ESCHENBACH,"PARZIVAL", Tome 2, p 289 . On trouve "le roi zaroastre d'Arabie".

27. Dans le roman d’Abladane concernant l’origine de la ville d’Amiens, daté des années 1260-1280, Christopher Lucken a bien cerné les similitudes de destin qui pouvaient exister entre le magicien Flocart et Richard de Fournival. Le magicien Flocart, qui dans le roman d’Ablabane est qualifié d’homme sage et de bon négromancien, de retour de la cité de Tolède, utilisa sa magie pour protéger sa ville et la rendre plus puissante que Rome, à telle point qu’elle finit par être entièrement rasée. Pour Richard de Fournival, c’est la cathédrale d’Amiens qui devait subir un dévastateur incendie en 1258. Cette incendie brûla de précieux livres et surtout on accusa Robert de Bisaharz, Anseau, sergent de la ville d’Amiens, et Enguerran de Croy, d’avoir à la faveur de la nuit et de l’incendie, dérobé un coffre placé sous un mur de la cathédrale et qui contenait le sceau et les privilèges du chapitres. Richard de Fournival avait voulu faire de sa cathédrale et de sa bibliothèque comportant 300 ouvrages un jardin ouvert à tous les lettrés désireux d’accéder au sanctuaire sacré de la philosophie, donnant ainsi " le plus grand désir d'être introduits dans la chambre secrète des  philosophes ". On peut encore admirer de nos jours l'étoile du matin, le pentacle inversé luciférien de la théologie négative sur le vitrail nord de la cathédrale Notre-Dame d'Amiens. 

 

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Ce grand gnostique voit, deux ans avant sa mort, tous ses rêves partir en fumée. Cela fut un terrible coup de destinée pour le chancelier car dans son oeuvre Biblionomia, Richard qui se disait versé dans les calculs astrologiques, avait constaté que son horoscope était parallèle à celui de sa ville natale d’Amiens . Voir Christopher Lucken, « Écrire les fondations d’Amiens et le roman d’Abladane »; pp 95-111 dans: Espaces et Sociétés; revue critique internationale de l’aménagement de l’architecture et de l’urbanisation; directeur de publication Serge Jonas, 1998, conservation numérique BNF 17/01/2011.  

28. Térence LE DESCHAULT DE MONREDON, La Tour Ferrande à Pernes-les-Fontaines (Vaucluse) : nouvelle lecture du programme iconographique; Société Française d'Archélologie, bulletin monumental, tome 173-4, année 2015

29. Le monogramme du Christ a connu au fil du temps de multiples interprétations. Pour certains, il serait lié aux Hospitaliers avec Sancti Johannis Hospitalis, pour d'autre liés aux grades maçonniques ce serait plutôt Jéhovah Hiram Stolkin. Quant à l'inscription qui est à côté de saint Christophe, elle nous dit: "Je suis assis au cou de Christophe, moi qui porte les péchés /quiconque regarde l'image de saint Christophe / n'est atteint, c'est un fait, le même jour, d'aucune maladie."

30.Jean de HILDESHEIM, Historia Trium Regum, dans ELISSAGARAY Marianne, la légende des Rois Mages, éditions de Seuil, 1965

31. BARTHELEMY L., Inventaire chronologique et analytique des chartes de la maison des Baux, Marseille, 1882, n° 993, 21 octobre 1314

32. En 1306, le pape Clément V relance le projet de fusion des deux ordres de chevalerie de Terre Sainte et réclame un mémoire à ce sujet au Grand Maître des Templiers Jacques de Molay. En réponse au pape, Jacques de Molay rejettera catégoriquement cette option. Voici un extrait de sa réponse au pape: 

"Très Saint-Père, à la question que vous me posez relativement à l'union des ordres du Temple et de l'Hûpital, moi maître du Temple, je réponds comme suit: Assurément, je me rappelle que lorsque le pape Grégoire était au concile de Lyon avec saint Louis [ Erreur: saint Louis mourut le 25 août 1270 et le concile général de Lyon se tint du 7 mai au 17 juillet 1274] et beaucoup d'autres personnes ecclésiastiques et séculières, il s'y trouva aussi frère Guillaume de Beaujeu, alors maître du Temple, et avec lui beaucoup d'autres frères de notre ordre, des anciens ; frère Guillaume de Courcelles, de l'ordre de l'Hûpital de saint Jean, y fut également avec plusieurs autres frères et discrètes personnes de cet ordre. Et ledit pape et saint Louis voulurent avoir un avis relativement à l'union susdite et leur intention était de ne faire qu'un ordre de tous les ordres militaires religieux. Mais on répondit que les rois d'Espagne n'y consentiraient pas du tout a cause des trois ordres militaires religieux qui sont établis chez eux C'est pourquoi l'on décida qu'il valait mieux que chaque ordre restât dans son état. De même, au temps du pape Nicolas IV, par suite de la perte de la Terre Sainte qui eut lieu alors, parce que les Romains et d'autres peuples se plaignaient avec force qu'il n'eût pas envoyé un secours suffisant pour la défense de ladite Terre, le pape, pour s'excuser en quelque façon et pour montrer qu'il voulait remédier à la situation de la Terre Sainte, renouvela ou reprit le projet susdit d'union ; mais, finalement, il ne fit rien. Ensuite le pape Boniface en parla à plusieurs reprises ; cependant, tout considéré, il préféra abandonner entièrement l'affaire, comme vous pourrez l'apprendre de quelques-uns des cardinaux qui vivaient de son temps." source: https://www.templiers.net/accusateurs/index.php?page=fusion-des-deux-ordres

33. DU MEGES Alexandre, "Notice sur quelques monuments de l'ordre de la Milice du Temple, et sur l'église de Montsaunès" Société archéologique du Midi de la France, t.V, année 1841-1847 pp 187 à 222, Toulouse, 1847

34. SAINT-PAUL François-Guillaume, Pélerinage au coeur de la Tradition Paroles et Symboles Cathedrale Sainte Marie de Comminges, PHRIXOS éditions. Le procès en sorcellerie en 1317-1318 de l'archevêque d'Aix-en-provence Robert de Mauvoisin un parent du pape Clément V, à qui il doit sa charge d'archevêque, nous révèle que Robert de Mauvoisin avait fait appel à un astrologue juif nommé Moïse de Trets pour la fabrication de talismans sous forme de trois anneaux gravés d'une formule astrologique qui pouvaient le prémunir contre les maladies et favoriser les bonnes grâces des puissants. L'astrologue lui avait été présenté par Raimon de Baux seigneur de Meyrargues. Selon les témoignages du procès, au cours de certaines discussions dans le palais de l'archevêque à propos des prédictions de Moïse de Trets étaient présents le seigneur Hugues de Baux et Peire Audebert, vice sénéchal du comté de Provence. Jean-Patrice BOUDET et Julien THÉRY, Le procès de Jean XXII contre l'archevêque d'Aix: astrologie, arts prohibés et politique, Cahiers de Fanjeaux, année 2012, pp158-235.

35. Dans "PARZIVAL",Tome 2, p 33, Wolfram von Eschenbach nous dit :" Platon l'a dit en son temps et Sibylle aussi, qui fut prophétesse; sans se tromper en rien...", plus loin, Tome 2, p 292 :" le sage Pictagoras qui fut jadis astronome et qui savait tant de choses que nul homme, sans conteste, depuis le temps où vécut Adam, n'eut autant de connaissances."

36. Le statut ontologique des objets géométriques se trouve dans le commentaire de Proclus sur les éléments de géométrie d'Euclide qui fut transmis aux latins par Boèce. SOLĖRE Jean-luc, "Bien, Sphères et Hebdomades", In: A. Galonnier, éd., "Boèce ou la Chaine des Savoirs",Leuven/Louvain-la-Neuve, 2003,pp 55-110.2003. Academia.edu. et LERNOULD Alain, "Le statut ontologique des objets géométriques dans l'In Euclidem de Proclus", etudes Platoniciennes, 2011, OpenEdition Journals.

37. Alain de Lille (1116-1202), mort à l'abbaye de Cîteaux, dans son sermon sur la sphère intelligible daté des années 1177-1179, se demande: "À qui s'adapte mieux la propriété de la forme sphérique qu'à l'essence divine, elle qui est l'alpha et l'oméga, le principe et la fin sans principe ni fin? ". Pensée qu'il illustre par l'image du diadème de Martianus Capella, diadème que Jupiter retira de la tête de sa fille aînée Éternité pour la poser sur celle de chloé, figure de l'âme humaine. Chez Martianus Capella, le diadème ou la couronne signifient qu'elle est sans début ni fin, à l'image de la sphère divine. Edit Anna Luká (dir), " Dieu est une sphère . La métaphore d'Alain de Lille à Vincent de Beauvais et ses traducteurs", Presse universitaires de Provence, Senefiance, Aix-en-Provence, 2019. Publication sur OpenEdition Books: 14 octobre 2021.

38. Denys l'Aréopagite, Traité de la théologie mystique, traduit du grec par l'abbé Darboy, 1845 ; la bibliothèque libre. Et Oeuvres de Saint Denys L'Aréopagite, de la théologie mystique, traduit du grec en français par l'abbé J. Dulac, Paris, 1865; oeuvre numérisée par Marc Szwajcer.

39. À Paris, à Londres ou à Tomar au Portugal, très tôt, les Templiers vont élever des églises à plan centré où se réunissaient les chapitres provinciaux. Non pas en référence au Saint-Sépulcre, comme l’a cru Viollet le Duc, mais en référence à une certaine Table Ronde. Table ronde, où est affirmée l’égalité des chevaliers et l’élection du meilleur d’entre eux. Cette Table ronde conçue par Merlin l’Enchanteur, né d’une vierge et d’un démon, est aussi à l’image du Ciel, c’est-à-dire à l’image d’une sphère dans la plus pure tradition néoplatonicienne. Seulement, élever des églises à plan centré, surmontées d’une coupole pour signifier la sphère, comme celle du dôme du Rocher à Jérusalem, reste hors de portée des compétences des maîtres bâtisseurs du XIIe siècle, qui ne peuvent que reproduire la technique des églises à plan centré déjà réalisées sur le modèle du Saint-Sépulcre, d’où la méprise de Viollet le Duc. Les frères templiers ont eu leur période alchimique, ils ont eu aussi leur période magique, mais au final la seule voie qui ait tenu la route reste celle du Grand Architecte de l’univers, comme en était persuadé en son temps le dignitaire du Temple Roncelin de Fos. 

 

Steles Tomar 

Alors préférons la traduction « Lapis ex coelis » même si elle ne fut pas forcément celle que Kyot le Provençal avait à l’esprit.

40. Le moine cistercien Hélinand de Froidmont (1160-1237), dans son sermon 23 pour la Toussaint, nous signale la polémique qui existait au Moyen Âge entre ceux qui voulurent une pluralité innombrable de mondes et de sphères (physique d’Aristote) et les partisans d’un univers unifié (conception néoplatonicienne), qu’il renvoie dos à dos dans son sermon mais qui ne sera pas sans conséquence sur la manière dont les géomètres concevront leurs plans en architecture. (Voir notre article sur l’initiation sacerdotale selon l’ordre de Melchisédech 3ème partie.). TROTTMANN Christian, "Bernard de Clairvaux et la philosophie des Cisterciens du XIIe siècle",Thèse 1avril 2017,Théologie Catholique,Université de Strasbourg, p 361 et note 833.

41. Wolfram von ESCHENBACH,"PARZIVAL", Tome 2, p 38

La dispute de la Vraie Croix, une nouvelle hypothèse pour la naissance du Temple

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 L'Archevêque de Césarée,Evremar de Thérouanne, apporte la Vraie Croix à Antioche au grand soulagement du patriarche d'Antioche Bernard de Valence début août 1119

 

Introduction

 

Chercher à déchiffrer l’incipit de l’histoire de l’ordre du Temple, à saisir l’esprit des premières années d’une expérience nouvelle comme celle qu’ont vécu Hugues de Payns et ses compagnons, reste un exercice périlleux. La raison en est que nous ne bénéficions d’aucun témoignage direct des événements qui nous intéressent. Les premières chroniques qui vont faire état des débuts des Templiers datent de la fin du XII° siècle, soit plus d’un demi-siècle après les événements, autant dire une éternité. 

 

Le travail des historiens a pu permettre d’identifier au moins quatre chroniques1 qui nous parlent  du début de l’ordre du Temple: celle de Michel le Syrien2, celle de Guillaume de Tyr3, celle d’Ernoul4 , celle de Jacques de Vitry5 . Si les courts passages de ces chroniques nous sont précieux pour avoir une première approche des faits, il faut aussi constater que les récits sont assez succincts, que ce qui y est affirmé peut s’avérer faux6 et que les différentes versions sont parfois contradictoires7. Mais le plus gênant reste encore le fait qu’avec le recul des années, il nous semble que ces chroniques nous donne une version édulcorée des événements, laissant penser que si Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer ont rompu leur engagement auprès des chanoines réguliers ce serait parce qu’ils étaient oisifs et que par manque d’action ils se seraient rapprochés du roi8

 

Dans cette optique, le changement de statut de ces « proto-templiers » ne serait pas un drame. Le roi aurait convaincu le patriarche et le prieur du Saint-Sépulcre de libérer de leurs voeux les futurs Templiers pour qu’ils puissent trouver refuge auprès du roi dans son palais sur l’ancien site du Temple de Salomon. 

 

Cette version idyllique des faits a amenés les historiens contemporains à s’imaginer que tout cela se serait passé pendant le concile de Naplouse en janvier 11209 - bien qu’aucune des quatre chroniques de Terre Sainte ne parle explicitement du concile de Naplouse et qu’aucun des vingt-cinq canons du concile de Naplouse ne parle des Templiers. 

 

Pourtant une lettre du chanoine régulier Hugues de Saint-Victor, adressée aux chevaliers du Temple, aurait dû alerter sur le fait que le changement de statut d’Hugues de Payns et de ses compagnons ne s’était pas fait sans quelque frustration de la part des chanoines réguliers. Encore fallait-il que les historiens attribuent cette lettre à son véritable auteur10

 

Il en est de même pour la date de la création de la nouvelle milice en 1120. Les historiens contemporains semblent prendre un malin plaisir à jouer du calendrier au risque de nous embrouiller11 alors que le seul document authentique que nous possédons à travers le prologue de la Règle des Templiers est limpide sur ce sujet. Le concile de Troyes a eu lieu le 13 janvier 1128, la neuvième année du commencement de ladite chevalerie, c’est-à-dire en 1119. 

 

À contre-courant de ce bel unanimisme, nous allons donc proposer de présenter une version résolument plus conflictuelle du début de l’ordre des Templiers12.

 

Des chevaliers du Saint-Sépulcre

 

Avant la création de l’ordre des Templiers, on s’accorde sur le fait que Hugues de Payns, Godefroy de Saint-Omer et leurs compagnons sont des donats au service des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, c’est-à-dire des chevaliers laïcs qui ne prononcent pas de voeux mais servent en armes les chanoines et sont soumis à l’autorité du prieur du Saint-Sépulcre. Le statut du donat implique qu'il se donne " se et qua reddere" (lui-même et avec quoi payer), à l'institution religieuse, au moyen d'un contrat écrit. Celui-ci enregistre la formule d'autodédition prononcée lors d'un rite de "commendatio" (recommandation) lié au geste de " l'immixtio manuum" (mélange de mains). Détail important: le centre du lien entre le chevalier laïc et le prieur des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre réside dans le fameux contrat formulé par écrit qui peut être révoqué en cas de désaccord entre les parties.

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En échange, les donats bénéficient des bienfaits spirituels des chanoines, ils sont autorisés à suivre les offices dans la basilique et à porter sur leur vêtement l’insigne du Saint-Sépulcre sans pour autant partager la vie commune avec les chanoines qui sont des prêtres. 

 

Hugues de Payns et ses compagnons, en tant que laïcs, vivaient en-dehors des bâtiments conventuels du Saint-Sépulcre. Ils étaient hébergés et nourris non loin de là à l’hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. 

 

L’ordre canonial régulier du Saint-Sépulcre, établi en 1114, portait comme signe distinctif une croix vermeille patriarcale cousue sur leur vêtement. 

 

Ancien Chanoine Regulier de lOrdre du S Sepulcre Wellcome L0040992

 

La basilique du Saint-Sépulcre, siège du patriarche latin de Jérusalem, était le coeur spirituel et législatif du royaume de Jérusalem. C’était au Saint-Sépulcre qu’étaient gardés dans un coffre la couronne des rois de Jérusalem ainsi que les lois du royaume établis du temps de Godefroy de Bouillon. Ces lois, ou assises, que l’on a appelé les lettres du Saint-Sépulcre, ont fait coulé beaucoup d’encre sur leur contenu puisqu’elles ont disparu en 1187 avec la fin du premier royaume de Jérusalem, sans jamais laisser de trace.13

 

Une autre fonction des chanoines du Saint-Sépulcre était la garde de la Vraie Croix, sainte relique que les Francs emmenaient toujours avec eux lors de la bataille. C’était au patriarche de Jérusalem et au trésorier du Saint-Sépulcre qu’incombait la tâche d’apporter la Vraie Croix sur le champ de bataille. De plus, le patriarche et les chanoines, en tant que grands propriétaires terriens, qui possédaient plus du quart de la ville sainte de Jérusalem, avaient l’obligation de fournir un contingent armé. 

 

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À partir des années 1114-1119, on pense qu’en tant que garde du corps des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, une des fonctions d’Hugues de Payns et de ses compagnons, était de faire partie du contingent militaire qui entourait le patriarche de Jérusalem et le trésorier du Saint-Sépulcre, avec la Vraie Croix portée au-devant de l’armée du roi de Jérusalem. Fonction hautement stratégique sur la symbolique du pouvoir de l’Église sur le royaume de Jérusalem.

 

La question qui se pose à nous est de savoir pourquoi Hugues de Payns et ses compagnons ont fini par rompre leur engagement auprès des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre. L’hypothèse que nous soumettons est que cette rupture soit intervenue à propos de la dispute de la Vraie Croix qui va éclater entre le roi de Jérusalem et le patriarche entre le mois de juin 1119 et le mois de juin 1120. 

 

Sur cette fameuse dispute, nous nous sommes appuyés sur l’article de M. Hans Eberhard MAYER « Jérusalem et Antioche au temps de Baudoin II » in: Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres; 1980, pp. 717-734, accessible sur internet: https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1980_num_124_4_13786

 

Comme cette dispute intervient dans un laps de temps très court, il est important pour nous de rappeler à quelle date Hugues de Payns et ses compagnons ont décidé d’abandonner le service du Saint-Sépulcre pour devenir des Templiers. 

 

Dans le prologue de la Règle des Templiers, approuvée au concile de Troyes en Champagne, il est précisé: « C’est ainsi qu’en toute joie et toute fraternité, nous nous assemblâmes à Troyes, grâce aux prières de maître Hugues de Payens par qui ladite chevalerie commença, avec la grâce du Saint-Esprit, pour la fête de monseigneur Saint-Hilaire [13 janvier], en l’an de l’incarnation Jésus-Christ 1128, la neuvième année depuis le commencement de ladite chevalerie. »

 

La Règle des Templiers ne laisse aucun doute sur le fait que la création de l’ordre a eu lieu en 1119. Cette année-là va se produire un événement majeur en Terre Sainte qui, selon nous, pourrait bien être la cause indirecte de la rupture entre Hugues de Payns et les chanoines du Saint-Sépulcre. Cet événement est le désastre de la bataille de l’ager Sanguinis le samedi 28 juin 1119 que l’enlumineur anonyme du manuscrit de l’Historia de Guillaume de Tyr a judicieusement représenté sous la scène où Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer se présentent au roi de Jérusalem Baudoin II pour créer la nouvelle chevalerie. 

 

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Le désastre de l'Ager Sanguinis

 

L’Ager Sanguinis ou le Champ du Sang, c’est la fin tragique de Roger d’Antioche, régent de la principauté d’Antioche. Entre mai et avril 1119, une armée de Turcomans, dirigée par Il-Ghâzi, l’atabeg d’Alep, envahit la principauté d’Antioche. À l’annonce de cette invasion, Roger d’Antioche avait tout de suite envoyé des messagers pour demander l’aide du roi Baudoin II et du comte Pons de Tripoli. Le roi de Jérusalem répondit aussitôt qu’il allait accourir avec le comte de Tripoli mais que le régent se gardât de livrer bataille avant leur arrivée. Le patriarche d’Antioche Bernard de Valence, qui le premier avait conseillé de faire appel au roi, insista vivement pour que Roger se conforme aux injonctions du roi. 

 

Hélas! Roger d’Antioche, fort des succès qu’il avait déjà remporté sur ses ennemis en 1115 et pressé par ses vassaux qui subissaient le siège de leur domaine, se persuada qu’il était à même d’assurer par lui-même la défense de sa principauté.  Contre l’avis du patriarche d’Antioche, il rassembla son armée composée de 700 chevaliers et de 3000 fantassins pour se porter au plus vite contre l’ennemi.

 

Seulement, plus il avançait vers l’armée ennemie, plus les nouvelles de ses éclaireurs étaient inquiétantes. On lui rapporta que l’armée était bien supérieure à la sienne. On parle de 20 000 hommes. Un chroniqueur arabe parle même de plus de 40 000 hommes. Roger d’Antioche, avant même la bataille, comprend l’erreur qu’il venait de commettre. Mais il était déjà trop tard pour battre en retraite. Il fallait se préparer à subir le choc d’une armée innombrable. 

 

La stratégie des Francs fut de se positionner dans une vallée étroite entre deux montagnes pour essayer de compenser l’infériorité numérique par un espace exigu où il serait difficile de manœuvrer pour le gros de l’armée d’Il-Ghâzi. Mais cette stratégie s’avéra inutile car il fut facile pour les Turcomans de contourner par les hauteurs et d’opérer un encerclement total de la petite armée franque dans la nuit du 27 au 28 juin 1119.

 

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Les Francs, acculés et sans espoir de retraite, se battirent avec l’énergie du désespoir, tuant le plus grand nombre d’ennemis possible. Mais, submergés par le nombre, ils succombèrent et furent massacrés en masse. Roger d’Antioche, restant seul avec une poignée de fidèles , se lança au plus épais des escadrons turcs. Un coup d’épée en plein face, à hauteur du nez, lui donna la mort.

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Selon les chroniqueurs de l’époque, seuls 140 hommes sur toute l’armée d’Antioche purent se sortir de cet amas de cadavres gisants dans cette vallée encaissée qui fut leur dernier tombeau et qu’on appellera dorénavant le Champ du Sang, l’Ager Sanguinis. 

 

Comprenant d’avance la situation, le patriarche d’Antioche, Bernard de Valence, prit des mesures énergiques. Faute de soldats, il commença par armer tous les Francs présents à Antioche, qu’ils soient marchands, clercs ou moines. Tous furent mis à contribution pour défendre la cité d’Antioche. Quant aux chrétiens indigènes, syriens, arméniens, grecs, ils furent désarmés et confinés chez eux par peur de la trahison. Cette politique s’avéra payante puisqu’elle permis d’attendre l’arrivée de l’armée du roi Baudoin II. 

 

La dispute de la Vraie Croix

 

Au moment où Baudoin II avait reçu le premier message de Roger d’Antioche, il se trouvait lui-même engagé avec son armée dans une expédition militaire contre les Damascènes sur les rives du Jourdain. Comme le voulait les institutions hiérosolymitaines, le patriarche de Jérusalem Gormond de Picquigny était là, avec la Vraie Croix, accompagné du trésorier du Saint-Sépulcre. Le premier réflexe du roi Baudoin II fut d’ordonner à son armée d’interrompre les opérations militaires en cours et de se diriger immédiatement vers Antioche en passant par le comté de Tripoli afin de réunir toutes les armées pour se préparer à combattre les Turcomans. 

 

Le problème est que devant cet ordre une partie de la noblesse du royaume de Jérusalem refusa de suivre le roi sous prétexte que la semonce, c’est-à-dire le service militaire dû au roi, n’était valable que sur le territoire du royaume de Jérusalem et ne concernait pas la principauté d’Antioche. 

 

Derrière ce refus de la noblesse hiérosolymitaine se cachait l'antagonisme issu de l’élection du roi Baudoin II au trône de Jérusalem en 1118 qui avait contrevenu au droit féodal franc selon lequel le successeur légitime du roi Baudoin Ier serait son frère, Eustache III de Boulogne. 

 

Le conflit entre les légitimistes, garants du droit féodal franc, et les réformateurs, partisans de l’élection, dont faisait partie Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer, venait d’éclater en pleine campagne militaire sur les rives du Jourdain. 

 

Le plus surprenant dans cette affaire est que le patriarche de Jérusalem et les chanoines du Saint-Sépulcre, qui avaient pourtant grandement participé à l’élection du roi Baudoin II, décident contre toute attente d’aller dans le sens des opposants au roi en arguant que la Vraie Croix ne devait pas sortir du royaume de Jérusalem car la précieuse relique risquait d’être perdue. Même si cette crainte pouvait se justifier, puisque c’est finalement ce qui arriva en 1187 à la bataille de Hattin, en l’occurence, il existait un précédent puisqu’en septembre 1115 à la bataille de Tell-Dânîth dans la principauté d’Antioche, la Vraie Croix avait déjà été amenée à Antioche par le roi Baudoin Ier.

 

Derrière cette soudaine attitude frileuse de l’église hiérosolymitaine, on soupçonne les ambitions du patriarche Gormond de Picquigny, qui prétendait diriger le royaume de Jérusalem au nom de la très sainte Église romaine catholique et apostolique. Pour le patriarche, le royaume de Jérusalem se devait d’être une théocratie et le moment lui semblait opportun pour réaffirmer cette évidence. 

 

Nous sommes dans l’impossibilité de savoir si les lettres du Saint-Sépulcre lui donnaient raison mais si les assises du royaume avaient été rédigées du temps de Godefroy de Bouillon, qui lui-même avait refusé de porter la couronne en hommage au Christ et s’était déclaré simple avoué du Saint-Sépulcre, on pourrait penser que le patriarche de Jérusalem avait sur ce point quelques arguments juridiques valables à faire valoir. 

 

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Ne pouvant laisser le patriarche de Jérusalem confisquer la Vraie Croix sans renoncer à toute autorité sur le royaume, le roi Baudoin II ordonna sur le champ que la Vraie Croix soit confiée à l’archevêque de Césarée pour conduire son armée jusqu’à Antioche et c’est précisément à ce moment-là que se joue le destin d’Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer car c’est eux qui étaient censés protéger les chanoines réguliers et le patriarche qui entouraient la Vraie Croix. 

 

Qu’allaient-ils faire? Obéir au patriarche et aux chanoines du Saint-Sépulcre comme l’exigeait leur engagement? Ou allaient-ils suivre l’armée du roi élu? La rupture entre Hugues de Payns et ses compagnons avec les chanoines du Saint-Sépulcre date selon nous de cet instant précis car les futurs Templiers vont probablement décider de prendre la Vraie Croix pour la remettre à l’Archevêque de Césarée comme l’ordonnait le roi élu.

 

En juin 1119, sur les rives du Jourdain, on va assister à ce triste spectacle de l’armée de Jérusalem qui va se diviser en deux: l’une, conduite par le roi Baudoin II, se dirigeant vers le nord pour aller au secours de la principauté d’Antioche, l’autre, conduite par le patriarche Gormond de Picquigny, prenant la direction du sud pour s’en retourner à Jérusalem. 

 

Quand l’armée du roi rejoint celle du comte Pons de Tripoli, si l’on fait abstraction des fantassins, l’ensemble total des deux armées ne dépassait pas 250 chevaliers, c’est dire à quel point la noblesse hiérosolymitaine avait déserté en masse l’armée du roi. Ce constat contraindra Baudoin II à organiser en janvier 1120 le concile de Naplouse où il concédera la décime au profit de l’Église et du patriarche de Jérusalem pour chercher à retrouver un semblant d’unité. 

 

Hugues de Payns, Godefroy de Saint-Omer et leurs compagnons ont selon toute probabilité participé aux côtés du roi à la bataille de Hab, le 14 août 1119, qui a vu l’armée franque repousser l’armée d’Il-Ghazi malgré une infériorité numérique flagrante. 

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Cet exploit, où l’attitude au combat des compagnons d’Hugues de Payns a pu se mettre en valeur a scellé définitivement les liens indéfectibles entre le roi et les anciens chevaliers du Saint-Sépulcre. Quand le roi revient à Jérusalem en décembre 1119,  il leur ouvre son palais et les accueille chaleureusement. C’est à ce moment que devant le roi les compagnons d’Hugues de Payns prononcent leur propositum vitae à travers ces mots:

« Sire, pour Dieu, conseillez-nous de telle manière, que nous considérions avec attention à faire maître l’un de nous et qu’il nous conduise à la bataille pour la défense du royaume. »

 

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À la fin de la charte du roi de Jérusalem, datée du mardi 30 décembre 1119 qui confirme, après l'avoir rappelé, un privilège en date du 20 juin 1112 accordé à l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem par son prédécesseur, Baudoin II  précise de manière inhabituelle, dans la formule de datation du document, le fait qu'il avait emporté la Vraie Croix à Antioche et, qu'avec l'aide de la relique, il avait remporté la victoire (bataille de Hab). Dans la liste des témoins de cette charte, on trouve mentionné pour la première fois en Terre sainte le nom du chevalier Hugues de Payns : "(...) En l'an de l'incarnation du Seigneur 1120 (style pisan), en la deuxième année de mon règne, lorsque Dieu, par le signe de la Sainte-Croix, accorda la victoire à sa Chrétienté en terre syrienne et au royaume qui lui était confié, mardi, le 30 décembre.". La liste des témoins qui suit, recense : le chancelier Payen, le vicomte d'Acre Robert, Raoul de Fontenelle, Hugues de Payns (de Pazence), Honfroi de Toron, André de Teirall, Jean Cubilarii en présence de Pierre de Barcelone, Bertrand, frère de Mont-Pèlerin, un prêtre du nom de Pons et Frère Aicelin.14

 

La chronique d'Ernoul nous dit que la nouvelle milice portait encore sur son habit une partie de son ancien insigne du Saint-Sépulcre, sous la forme d'une croix simple couleur vermeille. Si l'on suit les dires du chroniqueur, les templiers auraient décousu de leur vétement la partie inférieure de la croix patriarcale pour ne garder que la partie supérieure.

 

Une chevalerie ostracisée ?

 

À partir de là, Hugues de Payns et ses compagnons doivent être considérés par le patriarche de Jérusalem et les chanoines réguliers comme suspects, voire comme des apostats à la cause de l’Église de Jérusalem. C’est à cette période délicate qu’à lieu le concile de Naplouse, qu’il est devenu courant de considérer comme l’acte de naissance de la nouvelle chevalerie alors qu’aucun des 25 canons du concile de Naplouse du mois de janvier 1120 ne fait allusion de près ou de loin aux Templiers.

 

Deux chapitres sont souvent mis en avant par les historiens, les canons 20 et 21 qui ne concernent pourtant que les clercs. Le chapitre 20 concède aux clercs le droit de prendre les armes pour leur défense mais surtout il insiste sur le fait qu’ils ne prennent pas goût à la guerre car c’est contraire à leur état. Le chapitre 21 nous dit: « si un moine ou un chanoine régulier apostasie, qu’il revienne à l’ordre ou rentre dans sa patrie ». Rien qui puisse laisser penser que le concile de Naplouse soutienne la nouvelle démarche des Templiers qui cherche à allier le statut de moine à celui du guerrier.

 

Quand, dans une lettre, le roi de Jérusalem demande à saint Bernard de soumettre une règle à ses protégés, ce sera le silence radio. Non seulement saint Bernard ne répond pas aux multiples sollicitations d’Hugues de Payns et du roi Baudoin II mais Hugues de Saint-Victor de Paris, le grand théologien des chanoines réguliers, ayant entendu parler de leur démarche leur écrit pour les remettre à leur place. 

 

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Hugues de Saint-Victor est un fervent partisan de la Respublica Christiana dirigée par les clercs. Il ne conçoit en aucune façon que des gens d’armes puissent prétendre à la contemplation des choses divines. Ce sont des « inférieurs » qui doivent obéissance aux « supérieurs », les clercs. Son conseil: « reste dans l’état où tu es » et contente-toi de vivre de la dépouille pendant la bataille ( comme le ferait un vulgaire chevalier du siècle). 

 

Hugues de Saint-Victor n’est pas le seul à monter au créneau. Guigues 1er, prieur de Chartreuse, leur adresse une lettre désagréable où il leur rappelle que le combat contre le mal est avant tout d’ordre spirituel et qu’ils sont peut-être en train de se fourvoyer. Dans cette ambiance hostile, il était impossible pour les premiers Templiers d’espérer recruter ou de recevoir des dons. D’où la légende des 9 chevaliers pendant 9 ans. Pourtant, juridiquement parlant, Hugues de Payns et ses compagnons, en tant que donats, avaient le droit de rompre le contrat qui les liait aux chanoines réguliers du Saint-Sépulcre en cas de désaccord.

 

Baudoin II, en juin 1120, alors qu’il est à Jérusalem, reçoit une nouvelle demande de secours de la principauté d’Antioche qui est encore une fois attaquée par les Turcomans. Comme le veut la tradition, le roi demande que la Vraie Croix accompagne son armée qui va partir défendre la principauté d’Antioche. Le patriarche de Jérusalem et les chanoines réguliers du Saint-Sépulcre lui refusent catégoriquement de lui livrer la Vraie Croix. 

 

En juin 1120, nous sommes en face d'une véritable crise de régime. Un bras de fer s’engage entre le roi et le patriarche pour la gouvernance du royaume. Baudoin II déclare publiquement que si on ne lui livrait pas la Vraie Croix il renoncerait à aller défendre la principauté d’Antioche et que les conséquences du désastre seraient à mettre sur le compte du patriarche et de ses amis les chanoines. À cette occasion, le roi prenait à témoin tous les Latins d’Orient. 

 

Le problème pour l’Église de Jérusalem est que si les nobles du royaume de Jérusalem étaient contraints par la semonce de servir le roi, rien n’obligeait cette même noblesse à servir une théocratie surtout si celle-ci avait les accents de la Respublica Christiana. Force était de constater que si le patriarche avait un pouvoir de nuisance vis-à-vis du roi, il n’avait pas celui de diriger le royaume et le positionnement d’Hugues de Payns et de ses compagnons à cet égard était particulièrement révélateur. 

 

Gormond de Picquigny finit par céder au roi en résumant la situation ainsi: « Nous fîmes ce que nous ne voulions pas et ce que nous ne voulions pas nous le voulûmes .»15 Dans cette lutte d’influence entre le roi et l’Église, si Baudoin II venait de remporter une bataille, il n’avait pas encore remporté la guerre. 

 

En ce qui concerne les Templiers, l’événement qui semble avoir dénoué la situation ne fut pas le concile de Naplouse en 1120 mais l’entrée au sein de la milice du Temple du comte Hugues Ier de Champagne en 1125. 

 

Hugues Ier, comte de Champagne, et la genèse de l’ordre des Templiers.

 

Hugues de Champagne était un personnage influent, aussi bien auprès du roi de France, dont il avait épousé la fille Constance de France en premières noces, qu’auprès de l’Église romaine puisqu’en secondes noces, il épousa Elisabeth de Bourgogne, la nièce du pape Calixe II (1119-1124). 

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Grand protecteur de l’Église grégorienne, en 1104, le comte avait autorisé sur ses terres la tenue d’un concile à Troyes, en Champagne. Suite à ce concile, il avait décidé de se rendre en Terre Sainte. Mais avant de partir pour Jérusalem, il avait pris soin de se rendre pour la troisième fois dans l’abbaye de Molesme où il rencontra Hugues II, duc de Bourgogne et Guillaume II, comte d’Auxerre, de Nevers et de Tonnerre, qui revenaient de Terre Sainte. De son côté, Hugues était accompagné d’Erard, comte de Brienne, d’Hugues, comte de Reynel, d’André, comte de Ramerupt, de Milon Ier, comte de Bar-sur-Seine, de Jeoffroi, seigneur de Chaumont en Bassigny, de Roger de Joinville, et de Ponce, de Trainel, ainsi que de son neveu, le jeune Thibaut, futur comte de Champagne.16 Les seigneurs bourguignons et champenois aimaient à se retrouver dans cette abbaye où le supérieur du lieu était élu. Rappelons que l’abbé Robert de Molesme fut le fondateur de l’abbaye de Cîteaux et que les abbés de Cîteaux et de Molesmes seront présents au concile de Troyes en 1128 comme le comte Thibaut de Champagne et le comte de Nevers. 

 

Après cette réunion, on estime qu’Hugues de Champagne serait parti trois ans en Terre Sainte accompagné de son fidèle vassal, Hugues de Payns. De retour en Champagne vers la fin de l’année 110717, le comte repartira en Terre Sainte en 1114.

 

Dans un acte daté de 1113, Hugues de Champagne annonce qu’il se rendra au Saint-Sépulcre l'acte dit : 

" Sachent tous les fidèles du Christ présens et avenir que le mémorable Hugues, comte de Troyes, devant par une pieuse dévotion se rendre au sépulcre du Seigneur ajouta de nouveaux bienfaits aux bienfaits si nombreux et si grands qu'il avait accordés à l'église de Montiéramey.(...) ".18

Il semble que dès cette date, il était déjà dans l’idée de se mettre au service des chanoines du Saint-Sépulcre contre l’avis de sa femme Elisabeth de Bourgogne, qui se plaint de la situation à Yves de Chartres le grand canoniste. Parmi les témoins de cet acte fait à Troyes en Champagne figure Hugues de Payns.

 

Voici un extrait de la lettre qu'Yves de Chartres adresse au comte Hugues Ier en 1114 :

" Yves, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Hugues, comte magnifique et respectable des Troyens, souhaite que sur la route il combatte de manière à pouvoir régner dans la patrie. Nous avons entendu dire et nous savons que devant partir pour Jérusalem tu as fait voeu d'entrer dans la milice du Christ (Chevalier du Saint-Sépulcre), tu veux t'engager dans cette milice évangélique où avec dix mille hommes on combat sans crainte celui qui s'avance avec vingt mille pour nous attaquer. C'est la charité, mon cher ami, qui m'a donné la hardiesse de t'écrire cette lettre pour te conseiller de réfléchir à ce projet, et de faire en sorte qu'il ne paraisse pas seulement louable aux yeux des hommes, mais qu'il soit aussi agréable aux yeux de Dieu, et que l'accomplissement d'un voeu arbitraire ne te fasse pas oublier un engagement consacré par la loi divine. Tu t'es uni à une femme par un lien que la loi de la nature a créé, et qu'ensuite la loi de l'Évangile et des apôtres a confirmé (.....), et si tu gardes la continence sans le consentement de ta femme, quand même tu le ferais pour Dieu, tu n'observes pas tes engagement conjugaux, et tu offres en sacrifice le bien d'autrui au lieu du tien prope (.....). Tu devras donc, en exécutant ton projet, t'arranger de manière à ce que l'accomplissement de ton voeu puisse se concilier avec le respect dû à une institution qui est de droit naturel et de droit positif."19

 

Nous pensons que ce voyage organisé par le comte de Champagne et Hugues de Payns en 1114 a un lien avec la réforme du chapitre du Saint-Sépulcre qui cette même année passe de séculier à régulier, ce qui permettra aux chanoines d’élire le patriarche de Jérusalem selon les usages de l’Église grégorienne. Cette réforme permet d’élire le patriarche mais elle instaure aussi un nouveau mode de désignation des gouvernants au sein même du nouveau royaume latin de Jérusalem. Cela permit en 1118 de faire élire Baudoin II comme roi de Jérusalem avec l’appui du patriarche dans un royaume où le régime héréditaire aurait dû être la règle. 

 

On se demande si cette stratégie pour arriver à faire élire le roi dans les états francs de Terre Sainte à la manière de ce qui se faisait dans l’empire germanique n’aurait pas été pensé et préparé dans cette abbaye de Molesme en Bourgogne où seigneurs champenois et bourguignons aimaient à se retrouver comme le feront plus tard les légendaires chevaliers de la Table Ronde. 

 

En 1119, le comte de Champagne, revenu bon gré mal gré en Occident autour des années 1115/1116, participe au concile de Reims sur les terres du roi de France où il est officiellement chargé de la sécurité personnelle du pape Calixe II au moment où se dernier négocie avec le très menaçant empereur germanique. Hugues, comte de Champagne, est aussi le protecteur et généreux donateur des terres pour la fondation de l’abbaye cistercien de la Claire Vallée dont saint Bernard est l’abbé.

 

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Voici la lettre que saint Bernard écrit quand il apprend que le comte de Champagne a décidé de partir définitivement en Terre Sainte pour se faire templier en 1125: 

 « Si c'est pour Dieu que de comte vous vous êtes fait simple soldat, et pauvre, de riche que vous étiez, je vous en félicite de tout mon coeur, et j'en rends gloire à Dieu, parce que je suis convaincu que ce changement est l'oeuvre de la droite du Très-Haut. Je suis pourtant contraint de vous avouer que je ne puis facilement prendre mon parti d'être privé, par un ordre secret de Dieu, de votre aimable présence, et de ne plus jamais vous voir, vous avec qui j'aurais voulu passer ma vie entière, si cela eût été possible. Pourrais-je en effet oublier votre ancienne amitié, et les bienfaits dont vous avez si largement comblé notre maison? Je prie Dieu dont l'amour vous a inspiré tant de munificentes pour nous, de vous en tenir un compte fidèle. Pour moi j'en conserverai une reconnaissance éternelle, je voudrais pouvoir vous en donner des preuves. Ah! s'il m'avait été donné de vivre avec vous, avec quel empressement aurais-je pourvu aux nécessités de votre corps et aux besoins de votre âme. Mais puisque cela n'est pas possible, il ne me reste plus qu'à vous assurer que, malgré votre éloignement, vous ne cesserez d'être présent à mon esprit au milieu de mes prières. »20

 

C’est très certainement l’entrée du comte Hugues de Champagne comme simple membre de la milice du Temple qui décide saint Bernard à rédiger l’Éloge de la nouvelle chevalerie, point de départ d’une reconnaissance officielle de l’ordre. Malgré tout, les Templiers vont faire l’amère expérience que les chanoines réguliers n’ont pas renoncé à leur projet de Respublica Christiana en Terre Sainte. Lors du concile de Troyes sur les terres de Champagne en 1128, Hugues de Payns et ses compagnons vont constater que leur Propositum vitae a été sérieusement dénaturé. 

 

L’enjeu de la Propositum Vitae des Templiers

 

 Le prologue de la Règle des Templiers précise: « Ensemble, nous l’entendîmes, de la bouche même de frère Hugues de Payens, comment fut établi cet ordre de chevalerie et, selon notre jugement, nous louâmes ce qui nous sembla profitable; tout ce qui nous sembla superflu, nous le supprimâmes.  Et tout ce qui, dans cette réunion, ne put être dit ou raconté, ou oublié, nous le laissâmes, avec sagesse, à la discrétion de notre honorable père, sire Honorius et du noble patriarche de Jérusalem, Étienne de la Ferté qui connaissait le mieux les besoins de la terre d’Orient et des pauvres chevaliers du Christ. »21

 

Le nouveau patriarche de Jérusalem, Étienne de la Ferté, ancien abbé des chanoines réguliers de Saint-Jean en Vallée à Chartes, loin d’être sage, avait décidé d’imposer le patriarcat de Jérusalem comme seul maître de la Terre Sainte. Pour ce faire, il commença par réviser la Règle des Templiers en enlevant toute référence au roi de Jérusalem qui était pourtant le protecteur déclaré de la nouvelle milice. Il soumit les pauvres chevaliers du Christ à son autorité et il leur imposa de suivre la liturgie des chanoines réguliers. Dans l’esprit d’Étienne de la Ferté, le roi Baudoin II était prié d’évacuer Jérusalem pour aller s’installer dans la cité d’Ascalon qui était encore aux mains des musulmans. Cherchant probablement à s’appuyer sur la flotte d’une des puissantes cités maritimes comme Venise, Pise ou Gênes, c’est à une véritable guerre civile que se préparait le nouveau patriarche pour imposer la très sainte Respublica Christiana dans le royaume de Jérusalem. 

 

Pourtant saint Bernard, dans une lettre où on lui demandait son avis, avait déconseillé à l’abbé de Saint-Jean en Vallée de se rendre à Jérusalem.  Étienne de la Ferté était passé outre cet avis et avait réussi à se faire élire comme successeur de Gormond de Picquigny. Mauvaise idée, car en avril 1130, un peu plus de deux ans après son élection, le patriarche de Jérusalem, Étienne de la Ferté agonise dans son lit.

 

Quand Baudoin II se rendra au chevet du patriarche en lui demandant comment il allait, celui-ci lui répondit: « je vais comme vous le souhaitez, sire. »22 On accusa le roi de l’avoir empoisonné mais il faut plutôt regarder du côté des Templiers qui cherchaient à protéger le roi et surtout son successeur désigné, Foulques d’Anjou, qui sera couronné en 1131 et qu’ils considéraient comme l’un des leurs depuis qu’en 1120 il avait séjourné parmi eux sur l’ancien site du Temple de Salomon.

 

Au successeur d’Étienne de la Ferté, Guillaume de Messine (1130-1145), saint Bernard recommandera les Templiers et surtout une attitude plus humble vis-à-vis de sa fonction. C’est au nouveau patriarche de Jérusalem, Guillaume de Messine, que l’on doit l’apaisement des tensions entre l’ordre du Temple et les chanoines réguliers à Jérusalem. 

 

Au final, ce sera le 29 mars 1139, par la bulle Omne datum optimum, fulminée par le pape Innocent II (1130-1143) que les Templiers se débarrasseront définitivement de la tutelle des patriarches de Jérusalem pour être soumis à celle du pape.

 

Le parti pris des chroniqueurs

  

Pour le début des Templiers, deux des quatre chroniques de Terre Sainte sortent du lot : celle de Guillaume archevêque  de Tyr (1130-1186) commencée vers 1170 et terminée en 1184 et celle d’Ernoul qui est l’écuyer du seigneur Balian d’Ibelin (1145-1193) commencée vers les années 1187-1993, et pousuivie jusqu'à l'année 1229. 

 

Il se trouve que ces deux chroniqueurs font partie du même clan: celui des monarchistes, ou légitimistes, partisans du droit héréditaire et farouchement opposés à l’influences de l’ordre des Templiers sur les institutions hiérosolymitaines.

 

Guillaume de Tyr a commencé son histoire d’Outre-mer sur la demande du roi de Jérusalem Amaury Ier (1162-1174), qui a la fin de sa vie envisageait de dissoudre l’ordre des Templiers en Syrie. Cela donne une idée du parti pris de ce chroniqueur. Guillaume de tyr sera le précepteur du fils et héritier du roi Amaury Ier, Baudoin IV (1174-1185) qui était Lépreux.

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L’ambition de Guillaume de Tyr n’avait pas de limites et on se demande quel rôle il joua dans l’assassinat en octobre 1174 du sénéchal Milon de Plancy, régent du royaume de Jérusalem et proche des Templiers. Milon de Plancy avait épousé en 1173 Étiennette de Milly, fille du 7e Grand Maître de l'ordre des Templiers, Philippe de Milly (1169-1171) qui, devenu veuf, était entré dans l'ordre du Temple vers 1167. Le meurtre de Milon de Plancy avait certainement été commandité par le grand ami de Guillaume de Tyr, le comte Raymond III de Tripoli, qui briguait le poste de régent, et par ses fidèles alliés Balian d’Ibelin et son frère Baudoin.

 
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C’est sous la régence de Raymond III de Tripoli que Guillaume de Tyr deviendra cette même année 1174 chancelier de Jérusalem avant d’être nommé l’année suivante archevêque de Tyr. Mais l’ascension fulgurante de Guillaume de Tyr va s’effondrer quand, en 1180, il concourt à la charge de patriarche de Jérusalem face à l’archevêque de Césarée, Héraclius. Pendant cette élection, Guillaume de Tyr est prêt à sacrifier le principe de l’élection par les chanoines réguliers en proposant d’aller chercher le nouveau patriarche en Occident.

 

Une fois élu par les chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, le nouveau patriarche de Jérusalem, Héraclius finira par excommunier Guillaume de Tyr en 1183. Parti à Rome pour se justifier, Guillaume de Tyr y mourra en septembre 1186. Le chroniqueur Ernoul, qui étrangement ne dit rien sur le meurtre du régent Milon de Plancy, s’étale abondamment sur les mauvaises moeurs du patriarche Héraclius, l’accusant nommément d’avoir envoyé un physicien à Rome pour empoisonner Guillaume de Tyr. 

 

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L’objectivité de la chronique d’Ernoul fait donc l'objet de la même suspicion puisque son seigneur et maître Balian d’Ibelin était le plus proche soutien de Raymond III, comte de Tripoli, principal opposant à Guy de Lusignan, candidat au trône de Jérusalem soutenu par les Templiers. On remarque aussi qu’Ernoul terminera sa chronique sur l’épisode où l’empereur germanique Frédéric II, de retour de Terre sainte, saisit les biens des Templiers dans les Pouilles et en Sicile et chasse tous les frères de ses terres. Tout un symbole qui en dit long sur les arrières-pensées du chroniqueur.

 

Arrières-pensées car il semble que le chroniqueur ne pouvait pas s’exprimer en totale liberté. M.L. de Mas Latrie identifie notre chroniqueur avec le chevalier Ernoul de Giblet mort après 1233. Les seigneurs de Giblet étaient originaires d’une famille de génois proche du Saint-Empire germanique et de l’ordre teutonique.

 
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Le 7 mai 1186, Guy Ier, seigneur de Giblet, souscrit un acte du roi Guy de Lusignan en faveur de l’ordre teutonique et en 1228, il prête 30 000 besants sarrasins à l’empereur Frédéric II lors de son arrivée à Chypre. Mais Ernoul de Giblet, après avoir été écuyer de Balian d’Ibelin, semble avoir servi son fils, Jean d’Ibelin (1179-1236), régent du royaume de Chypre qui affrontera directement les troupes de l’empereur germanique en Terre sainte, tout en se raprochant des Templiers jusqu'à se faire recevoir dans l'ordre en 1236 pour y passer ses derniers jours. 

 

Position délicate pour Ernoul de Giblet car sa propre famille lutte aux côtés des impériaux contre les seigneurs d’Ibelin qu’il sert avec mollesse puisqu’on lui reprochera son manque d’initiative quand, chargé de la défense de l’île de Chypre en 1232, il laissera les impériaux - parmi lesquels se trouve Hugues de Giblet - s’emparer de l’île. Il ne faut donc pas s’étonner quand Ernoul se plaît à décrire dans un autre passage de sa chronique comment, devenu empereur en 1220, Frédéric II reprend en main la Sicile et les Pouilles et fait pendre à cette occasion quelques frères templiers, sans ajouter d’autre commentaire. 

 

Guillaume de Tyr et Ernoul de Giblet paraissent imprégnés des valeurs aristocratiques issus du droit féodal franc ou de l'idéologie gibeline. Ces chroniqueurs ont en commun leur attachement à la supprématie du droit héréditaire, ce qui en fait des ennemis déclarés des frères Templiers attachés aux valeurs de la citoyenneté élective mise en avant par l'église grégorienne.

 

On peut dire aujourd’hui que 80% de ce que raconte Guillaume de Tyr sur le début des Templiers est fantaisiste , voire faux. En premier lieu, par le fait qu’il place en 1118 la naissance de l’ordre. Selon lui: « le roi et les grands, le seigneur patriarche et les prélats des églises leur donnèrent en outre, sur leurs propres domaines, certains bénéfices, les uns à terme, les autres à perpétuité, et ces bénéfices furent destinés à leur assurer les moyens de se couvrir et de se vêtir. » Or, aucun acte ne vient corroborer ces assertions. Le seul acte que nous possédons date de 1125, l’année où Hugues, comte de Champagne, entre dans la milice. 

 

Surtout, les dires de Guillaume de Tyr sont contredits par la lettre du maître des chanoines réguliers, Hugues de Saint-Victor, qui dit aux Templiers de se contenter pour subsiter de la dépouille pendant la bataille, c’est-à-dire du pillage des bagages et des biens des guerriers musulmans qu’ils avaient réussi à vaincre. 

 

Toujours aussi fausse, l’affirmation de Guillaume de Tyr selon laquelle les Templiers n’auraient reçu les insignes de la croix vermeille que sous le pontificat d’Eugène III (1145-1153). La bulle Omne datum optimum, octroyée aux Templiers en 1139 par le pape Innocent II (1130-1143) évoque à deux reprises la croix vermeille des Templiers.

  

On frise même le ridicule quand l’archevêque de Tyr se contredit lui-même. Dans un passage, il nous explique que les Templiers n’avaient pas d’autre vêtement que ce le peuple leur donnait par charité jusqu’au concile de Troyes (qui s’est tenu en 1128) alors que, quelques lignes plus haut, il nous expliquait que les bénéfices reçus par les Templiers en 1118 étaient destinés à leur assurer les moyens de se couvrir et de se vêtir. 

 

Il n’y a aucun crédit à accorder à la chronique d’un archevêque dont le seul but était de démontrer l'ingratitude des Templiers vis-à-vis du roi et de l’Église qui les avaient si bien traités à leurs débuts quand ils étaient pauvres et que, devenus riches et indépendants du patriarche de Jérusalem, ils se sont rendus extrêmement incommodes. 

 

Dans ces conditions, on ne sera pas surpris que la chronique de l’écuyer du seigneur Balian d’Ibelin soit de la même veine à propos de la naissance des Templiers. La chronique d’Ernoul se veut la continuatrice de la chronique de Guillaume de Tyr qui s’achève en 1184. Tout de suite, on remarque qu’au lieu de reprendre le récit en 1184, Ernoul, dans son deuxième chapitre, ressent la nécessité de revenir sur l’épisode de la naissance des Templiers développée par Guillaume de Tyr. 

 

Peut-être que dès cette époque ce passage avait déjà été fortement critiqué et qu’Ernoul avait jugé bon de préciser certains détails. Mais comme Ernoul a sous les yeux le texte de Guillaume de Tyr, il commence par faire la même erreur que lui, en plaçant la naissance du Temple en 1118. 

 

Malgré tout, Ernoul est plus précis que l’archevêque de Tyr. Il révèle que les premiers chevaliers du Saint-Sépulcre avaient le statut de « rendus » ou « donnés » et qu’ils obéissaient au prieur du Saint-Sépulcre. Il précise aussi qu’ils portaient l’enseigne du Saint-Sépulcre, la croix patriarcale à deux bras couleur vermeille et que par la suite les Templiers en portèrent encore une partie avec la croix toute simple vermeille. 

 

Comme pour Guillaume de Tyr, il n’y a pas d’opposition entre les roi et le patriarche au sujet des Templiers. Dans son récit, archevêques, évêques et barons s’accordent et prennent conseil à leur propos. C’est là où certains historiens ont cru voir la marque du concile de Naplouse bien que deux ans séparent la date de 1118 donnée par Ernoul et la date du concile de Naplouse en 1120.

 

Si la chronique d’Ernoul faisait allusion au concile de Naplouse, comment expliquer que les canons de ce concile ne parlent pas des Templiers ou même que Hugues de Payns et ses compagnons ne soient pas cités parmi les membres présents au concile , ce qui serait la moindre des choses s’il était question de leur sort. On a du mal à croire à un tel silence pour un concile qui passe aux yeux des historiens contemporains comme celui de l’approbation de la nouvelle milice. 

 

Autre élément suspect dans la chronique d’Ernoul: c’est l’explication qu’il donne du changement de vocation des chevaliers du Saint-Sépulcre. Pour Ernoul, les chevaliers auraient passé leur temps à boire, à manger et à dépenser leur argent et, lassés d’un tel régime, ils auraient décidé d’aller combattre. Autrement dit, Hugues de Payns et ses compagnons , lassés de faire ripaille et d’obéir à un prêtre, seraient devenus des Templiers. Voilà une belle caricature donnée par l’écuyer du sieur Balian d’Ibelin sur un ordre de chevalerie de Terre Sainte qui contrariait les projets politiques de son maître!

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Pour les deux autres chroniques, il n’y a pas grand chose à dire puisque Jacques de Vitry, mort en 1240, écrit au début du XIIIe siècle , et ne fait que paraphraser la version de Guillaume de Tyr. Quant à Michel le Syrien, patriarche jacobite d’Antioche (1166-1199), qui écrit vers la fin du XIIe siècle, paraît loin de la culture latine pour avoir une quelconque crédibilité. Curieusement, il nous dit qu’Hugues de Payns avait servi pendant trois ans avec trente chevaliers le roi de Jérusalem à la guerre avant que ce dernier leur donne la maison de Salomon. Cette version contredit l’oisiveté supposée des proto-templiers de la version d’Ernoul mais n’étant pas elle-même très crédible, on ne peut rien en faire. 

 

 

Conclusion

 

Il faut toujours regarder les chroniques latines de Terre Sainte avec un certain recul. Il est flagrant par exemple que les chroniques de la Première Croisade minimisent le rôle joué par l’armée byzantine alors que sans l’aide des byzantins, les Latins n’auraient jamais pu libérer Jérusalem tout seuls. La raison d’un tel oubli est que les Latins ne voulaient pas se sentir redevables et surtout être obligés de se reconnaître comme des vassaux de l’empereur byzantin. Les chroniqueurs préférèrent faire abstraction de certains faits pour valoriser l’action des Latins, ce qui est de bonne guerre. Pour les chroniqueurs qui nous intéressent, c'est un peu pareil, on se rend compte à quel point nous avons affaire à des propagandistes du régime monarchique qui arrangent les faits à leur convenance pour nous transmettre leur vision tronquée de l'histoire de la Terre sainte.

 

Malgré ce que pourrait laisser croire ces chroniques, nous doutons que la création de l’ordre des Templiers puisse apparaître comme un long fleuve tranquille. On se souvient des paroles cruelles du moine cistercien Isaac de l’Étoile dans son sermon XLVIII à propos de la naissance de l’ordre des Templiers:

« Du même genre et presque au même moment est apparu ce monstre nouveau: une nouvelle chevalerie, dont l’observance, comme quelqu’un le dit spirituellement, « relève du cinquième évangile »: à coups de lances et de gourdins, forcer les incroyants à la foi; ceux qui ne portent pas le nom du Christ, les piller licitement et les trucider religieusement; quant à ceux qui, de ce fait, tomberaient dans ces brigandages, les proclamer martyrs du Christ […] »

 

Les Templiers ont assumé une voie originale: celle de chevaliers qui ont cherché à obtenir la contemplation de la chose divine pour établir une citoyenneté basée sur l’élection des laïcs comme gouvernants. En ce sens, ils ont en partie échoué à imposer leur projet à Jérusalem. L’opposition farouche d’une certaine noblesse franque avec les comtes de Tripoli à leur tête et les ambitions radicales des chanoines réguliers ont compromis la mission qu’ils s’étaient fixés.

 

Pris en étau entre la Respublica Christiana et le droit divin, les Templiers ont été une armée au service d’une idée qui ne se réalisera que des siècles plus tard.

 

Pourtant jusqu’à la fin, les Templiers ne se sont jamais résolus à renoncer à leur projet. On ne saurait dire si les Templiers ont été des anges ou des monstres comme le proclame Isaac mais ce qui est certain c’est qu’ils ne furent pas des enfants de choeur. Ils furent une redoutable armée pendant la bataille au service du roi élu. 

 

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Parfois, ils maniganceront des coups d’état comme à Jérusalem en 1186 quand le grand-maître des Templiers Richard de Rideford impose Guy de Lusignan comme roi de Jérusalem au détriment du régent Raymond III de Tripoli, ce qui a sans doute contribué à la chute du premier royaume latin de Jérusalem en 1187. Autre coup d’état en 1277: quand le grand-maître des Templiers Guillaume de Beaujeu impose à Saint-Jean-d’Acre l’autorité de Charles d’Anjou au détriment de celle d’Hugues III de Lusignan qui, en représailles, confisque les biens du Temple sur l’île de Chypre. 

 

Les Templiers sont aussi derrière certains soulèvements populaires comme les révoltes siciliennes contre les croisades organisées par les empereurs germaniques. L’empereur Frédéric II sera lui aussi amené à confisquer les biens du Temple. Avec les vêpres siciliennes23 et les mâtines de Bruges24, la chevalerie française ne sera pas non plus épargnée par la vindicte des frères templiers et les représailles du roi de France, Philippe le Bel, seront terribles.

 

Pour honorer leur engagement ou pour défendre leurs intérêts, les Templiers n’hésiteront pas non plus à procéder à des éliminations ciblées d’individus jugés dangereux. Le patriarche Etienne de la Ferté est peut-être le premier d’une longue liste d’exécutions toujours menées avec le souci de la discrétion, à part quelques bavures comme le meurtre retentissant en 1173 de l’émissaire de la secte des Assassins25. Après ce vilain forfait, on prête au roi Amaury Ier d’avoir eu dès cette époque l’intention de dissoudre l’ordre du Temple en Syrie, ce qui n’arriva pas car le roi mourut le 11 juillet 1174, victime d’une dysenterie contractée au siège de Panéas. Cette fois-ci, les templiers n'y sont pour rien.

 

 

par Jean-Pierre SCHMIT

 

 

NOTES

 

1. Il existe deux versions encore plus tardives, la première du notaire italien Antonio Sicci de Verceil qui fut quarante ans au service des Templiers. En 1311, pendant le procès des Templiers, il déclare que les premiers Templiers bénéficiaient du « relief », c’est-à-dire des restes alimentaires de l’hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem. Pendant neuf ans, ils furent neuf, avec pour mission la garde du col au sud de Haïfa. On suppose qu’il s’agit de la garde de la « tour du détroit », sorte de petit fortin qui protège le bord de mer entre Haïfa et Césarée, passage emprunté par les pèlerins et qui avait la réputation d’être un véritable coupe-gorge.

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Si on distingue deux périodes pour les « proto-templiers » de 1114 jusqu’à 1119 au service des chanoines réguliers et entre 1119 et 1128 au service du roi de Jérusalem, il n’y pas de raison de douter du fait qu’une de leurs missions pour la deuxième période fut de stationner dans la tour du détroit au service de la protection des pèlerins. 

La version du notaire Antonio Sicci qui incite sur le droit de reliefs perçu par les Templiers sur l’ordre des Hospitaliers peut s’expliquer dans le cadre d’une justification d’une dévolution des biens templiers à l’ordre des Hospitaliers. 

Par contre, le deuxième témoignage, issue de la Chronique des maîtres décédés de l’Hôpital, écrit avant 1472, paraît plus curieuse. Nous n’avons pas pu lire ce témoignage directement et nous devons nous contenter de ce que nous rapporte l’historienne Simonetta Cerrini. Il semble que ce témoignage, s’appuyant toujours sur le fait que les Templiers percevaient le droit de reliefs sur les frères hospitaliers jusqu’à la premiere moitié du XIIIe siècle, a voulu faire des proto-templiers des donats de l’ordre de l’Hôpital. Il y a trop d’incohérences dans les dates données et les personnages cités pour que l’on accorde un quelconque crédit à cette version. La seule chose qui nous interpelle dans ce texte issu de l’ordre des Hospitaliers, est qu’au XVe siècle des chevaliers hospitaliers ont cru bon de créer une intimité spirituelle et historique un peu forcée entre ces deux ordres de chevalerie. Les Hospitaliers avaient reçu les biens des infortunés Templiers il y a bien longtemps (1312), dévolution qui ne semble jamais avoir été remise en question à notre connaissance. On se demande si ce témoignage quelque peu baroque aurait un rapport avec une tradition templière au sein de l’ordre des chevaliers hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, de Rhodes et de Malte? 

Cf: Simonetta Cerrini; La Révolution des Templiers, une histoire perdue du XIIe siècle; éditions Perrin, 2007, pp. 75-78

2. Michel le Syrien, Chronique de Michel le Syrien, Patriarche Jacobite d'Antioche (1166-1199), traduction J-B CHABOT, tome III, éd  Ernest Leroux, Paris, 1905. pp 201-203

3. Guillaume de Tyr, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, par M. GUIZOT, livre  XII, Paris, 1824. pp 202-205

4. ERNOUL, Chronique D'Ernoul et de Bernard le Trésorier, par M. Louis De Mas La Latrie, éd librairie de la société de l'histoire de France, Paris, 1871. pp 7-9

5. Jacques de Vitry, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, par  M. GUIZOT, livre I, Paris, 1825. pp 118-124

6.

7.

8.

9.

10. Dominique Poirel. Les templiers, le diable et le chanoine: le Sermo ad milites Templi réattribué à Hugues de Saint-Victor. Jacques ELFASSI, Cécile LANERY et Anne-Marie TURCAN-VERKERK,. micorum societas. Mélanges offerts à François Dolbeau pour son 65e anniversaire., SISMEL-Edizioni del Galuzzo, pp.635-663, 2013. halshs-03331506

11. Alain Demurger, dans son ouvrage Les Templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen-Âge, page 28, semble convaincu par l’argumentation de l‘historien Rudolf Hiestand qui part du fait que le concile de Troyes est daté du 13 janvier 1128 selon le calendrier florentin en usage dans le nord de la France. Selon ce calendrier, l’année se termine le 25 mars. Donc, selon notre calendrier moderne, l’année commençant au 1er janvier, on peut dater le concile de Troyes de l’année 1129, ce qui reporte selon ces historiens la date de la création de l’ordre des Templiers en 1120. Mais, selon notre calendrier moderne et pas forcément selon le calendrier utilisé en Terre Sainte à la même époque. On peut aussi objecter qu’il n’est pas certain que le concile de Troyes fut daté selon l’année civile en vigueur dans le nord de la France mais qu’il aurait pu tout aussi bien être daté selon le calendrier julien, utilisé au Moyen-Âge par la Très Sainte Église catholique, romaine et apostolique pour dater ses documents officiels. Si cette objection était recevable, le concile de Troyes et le concile de Naplouse seraient inclus dans le même espace temporel qui avait pour seule référence l’Église de Rome. Dans cette perspective, quand le concile de Troyes affirme que la création de l’ordre des Templiers a eu lieu en 1119, cela exclurait d’office l’hypothèse du concile de Naplouse puisqu’il a eu lieu en janvier 1120. On imagine aussi que si le concile de Naplouse avait validé d’une manière ou d’une autre la démarche d’Hugues de Payns et de ses compagnons, le concile de Troyes y aurait fait référence, ne serait-ce que pour renforcer le dossier de la nouvelle milice.

12. À l’appui de la thèse du concile de Naplouse, l’historien Alain Demurger cite une donation faite en 1137 par le châtelain de Saint-Omer et son fils Oston entré chez les Templiers, où il est précisé que « Guillaume châtelain de Saint-Omer et son fils Oston donnent les églises de Slype et de Leffinge, et leurs dépendances, aux chevaliers du Temple, qui, avec le conseil du patriarche Warmond et des barons, s’étaient consacrés à la défense de la Terre sainte et à la protection des pèlerins. »

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Parmi toute la documentation concernant les chartes des Templiers de cette époque, c’est le seul acte connu où est cité le patriarche Gormond de Picquigny en relation avec les Templiers. Cet acte est daté de 1137, c’est-à-dire neuf ans après le concile de Troyes. Guillaume II, châtelain de Saint-Omer, qui fait cette donation, est probablement le frère de Godefroy de Saint-Omer, l’un des deux principaux fondateurs de l’ordre du Temple. Mais il est surtout marié avec Mélisende de Picquigny, la soeur du défunt patriarche de Jérusalem, Gormond de Picquigny (1118-1128). Manifestement, dans cette donation relativement tardive, Guillaume II de Saint-Omer a voulu rendre hommage à l’action de son beau-frère, le patriarche de Jérusalem. Seulement les faits sont têtus. Ce que l’on peut constater est que le concile de Troyes qui officialise l’ordre des Templiers a eu lieu après la mort du patriarche Gormond de Picquigny et que nous ne possédons aucun acte dans les années 1119-1128 qui puisse confirmer un quelconque soutien du patriarche vis-à-vis des Templiers. Pire encore: la plus belle occasion qu’aurait eu Gormond de Picquigny de soutenir la démarche des Templiers aurait été de les citer lors du concile de Naplouse qui a eut lieu en janvier 1120, ce qu’il se garda bien de faire.

Notre sentiment vis-à-vis de cette donation est que nous avons affaire à un acte de propagande tardif pour réhabiliter l’action de ce patriarche qui fut plus que médiocre vis-a-vis de la nouvelle chevalerie au moment où le Templier Oston de Saint-Omer, fils de Mélisende de Picquigny, cherche à faire une brillante carrière au sein de l'ordre des Templiers. La seule chose que l’on puisse dire, est que si Gormond de Picquigny ne favorise en rien le développement de l’ordre pendant son patriarcat, il ne s’y opposa pas non plus de manière frontale, peut-être eu égard au fait qu’aux côtés d’Hugues de Payns se trouvait le chevalier Godefroy de Saint-Omer qui avait des liens de famille avec le patriarche de Jérusalem.  

Un des fils de Mélisende de Picquigny, Gautier de Saint-Omer, épouse en 1130 Echive de Bures, princesse de Galilée et de Tibériade. Cette princesse épousera en secondes noces en 1174, Raymond III de Tripoli, le grand ami de Guillaume de Tyr, qui reprendra à son compte la propagande initiée en 1137 par les Saint-Omer et la soeur du patriarche de Jérusalem.

13. DODU Gaston, Histoire des institutions monarchiques dans le royaume latin de jérusalem 1099-1291, ed Hachette,Paris, 1894, PP 39-133

14. CLAVERIE Pierre-vincent, L'ordre du temple en Terre Sainte et à chypre au XIIIe siecle, Nicosie, 2005, Tome III, documents indirects II ; 242, p 217.

15. EBERHARD MAYER Hans, Jérusalem et Antioche au temps de Baudoin II, in: comptes rendus de l'académie des inscriptions et belle-lettres, 1980, p 720.

16.

17. Nous n’avons aucune information concernant l’activité du comte de Champagne et de son fidèle vassal Hugues de Payns pendant leur séjour en Terre Sainte, entre les années 1105 et 1107. Mais pendant cette période, un événement marquant s’était produit en août 1105. Le patriarche de Jérusalem, Evremar de Thérouanne, avait harangué la foule présente dans la cité de Jérusalem pour inciter tous les hommes capables de porter les armes à le suivre derrière la Vraie Croix pour porter main forte au roi de Jérusalem Baudoin 1er qui lui avait demandé son aide au moment où ce dernier combattait l’armée des Fatimides d’Égypte, bien supérieure à la sienne devant la cité de Ramla. C’est au matin du 27 août 1105 que le patriarche de Jérusalem déboucha sur le champ de bataille avec les 150 volontaires qui avaient répondu à son appel. L’enthousiasme du patriarche portant la Vraie Croix semble avoir galvanisé les Francs qui renversèrent le déroulement d’une bataille qui semblait dans un premier temps assez mal engagée.

On peut se poser la question de savoir si le  Comte de Champagne et Hugues de Payns avaient pu passer à coté cet événement qui expliquerait en partie leur volonté de s’engager aux côtés des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre moins d’une dizaine d’années plus tard. Autre détail, le Patriarche de Jérusalem, Evremar de Thérouanne (1102-1108), fut déposé de son Patriarcat en 1108, pour être nommé Archevêque de Césarée (1108-1123), ce même Archevêque de Césrée à qui fut confié la Vraie Croix en 1119 pour sauver Antioche.

18.

19. H.d'ARBOIS DE JUBAINVILLE, Histoire des ducs et des comtes de champagne - de la fin du XIe siècle au milieu du XIIe. Tome II, Paris, 1860, pp 112-113.

20.

21.

22. GROUSSET René, Histoire des croisades et du royaume franc de jérusalem,  PERRIN, Paris, 1991, p 656

23. Peu d’historiens ont relevé l'implication des Templiers dans l’affaire des Vêpres siciliennes (1282) excepté le chanoine régulier de l’ordre de Prémontré Claude Mansuet jeune dans son histoire critique et apologétique de l’ordre des chevaliers du Temple de Salomon publié en 1789, l’année de la Révolution française. 

Dans son apologie des Templiers le chanoine régulier cite page 83 l’implication de Pere III de Queralt-Timor auprès des insurgés siciliens. Pere III présent  lors de la réunion dans l’église du Saint-Esprit à Palerme, au début de la révolte sicilienne aurait convaincu l’assemblée de bourgeois de se débarrasser de la tutelle du roi de Naples Charles d’Anjou pour se donner comme chef et prince le roi Pierre III d’Aragon, époux de Constance, fille et seule héritière des états du défunt empereur gibelin Manfred (1231-1266) ex-roi de Sicile (1258-1266). 

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La famille de Queralt-Timor est la grande protectrice de la commanderie templière de Barbera en Catalogne. Pere III de Queralt-Timor, amiral de la flotte du roi d’Aragon, n’est pas un frère du Temple comme le laisse entendre Claude Mansuet jeune mais plus probablement un affilié de l'ordre, un laïc associé. Son père Pere II de Queralt fut un dignitaire important de l’ordre en Catalogne. Pere II de Quaralt-Timor, devenu veuf, entre chez les Templiers en 1257 devient précepteur de Monzon (1260-1262) puis de Miravet (1262-1264), de Gardeny (1265-1267) et sera nommé lieutenant du maître provincial.

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Il en va de même des oncles de l’amiral Pere III de Queralt , Jaume et Arnau de Timor, puisque Jaume de Timor fut précepteur de Gardeny (1252-254) , de Barbera et lieutenant du maître provincial. Quant à Arnau de Timor, il fut précepteur de Barbera (1262-1266) (1271-1276), de Huesca (1268-1269) de Gardeny (1269-1271) et de Monzon (1277-1292) et également lieutenant du maître provincial. Cette famille donne aussi Damien de Timor qui était chef des turcopliers à Chypre (1300-1302) puis précepteur de Barbera (1305-1307). Lors de l’arrestation des Templiers en Catalogne, Damien de Timor se réfugia à Monzon où il résista un temps avant de continuer sa carrière militaire au service du roi d’Aragon sans être inquiété. Le fils de Pere III, Pere IV de Queralt interviendra dans les négociations pour la rédition des Templiers de Miravet en 1308 et au Concile de Tarragone en 1312 tous les Templiers de la couronne d'Aragon seront absous et certains seront généreusement pensionnés.

Pere III de Queralt-Timor avait épousé Angelina de Anglesola dont le père Guillem III de Anglesola, fit profession chez les Templiers et fut précepteur de Barbera (en 1246, 1258 et 1260), de Gardeny (1247) et Corbin (1261). L’amiral du roi d’Aragon Pere III de Queralt-Timor qui détruisit la flotte française dans le détroit de Messine en 1282 a, selon toutes probabilités, bénéficié de l’appui des Templiers catalans et peut-être siciliens dans cette affaire. 

Si des Templiers trempent dans les Vêpres siciliennes c’est qu’ils sont vent debout contre la nouvelle politique de Charles d’Anjou qui trahit ses engagements envers la Terre Sainte pour s’attaquer à l’empire byzantin. Cette politique de détournement de l'esprit de croisade est soutenue par l’obligé du roi de Naples, le pape Martin IV qui le 18 novembre 1281 excommunie solennellement l’empereur byzantin Michel VIII Paléologue. 

Cette décision a pour première conséquence de diviser profondément l’ordre des Templiers. Le grand maître des Templiers Guillaume de Beaujeu, fidèle soutien de la politique capétienne et de Charles d’Anjou, perd son autorité sur certaines provinces de l’ordre comme la province d’Aragon, la province de Tripoli, la baillie de Lombardie,où beaucoup de Templiers proches des gibelins - comme les Templiers lombards Albert de Canelli protégé de roi d'Aragon, maître en Sicile (1262-1266), ou Guillaume de Canelli qui deviendra maître de la baillie de Sicile (1284-1285) après les Vêpres Siciliennes - vont s’engager dans la défense des intérêts du roi d’Aragon et de ses alliés Lusignan du royaume de Chypre  contre les Français. 

La première victime des divisions internes de l’ordre sera en février 1282 Guy II de Gibelet, qui croyant avoir le soutien des Templiers pour s’emparer de Tripoli - soutien  promis par le grand maître Guillaume de Beaujeu - ne trouva pas le moment venu le commandeur de Tripoli, le frère templier Reddecoeur (1281-1287) qui laissa le pauvre Guy tout seul face à Bohemond VII de Tripoli qui, pour se venger, enterra vivant Guy et ses frères Jean et Baudoin. Un mois plus tard, le 30 mars 1282, ce sera au tour des Français et Provençaux de Sicile de payer le prix de la politique inconséquente de Charles d’Anjou.

Joan Fuguet Sans et Carme Plaza Arqué,"el linaje catalán Queralt-Timor y su relación con la Orden del Temple ( siglo XII-XIV )", Medievalista ( En ligne ), 30 I 2021,MIS en ligne le 01 juillet 2021.

 

24. La participation des templiers flamands aux mâtines de Bruges est assez bien documentée puisque les bourgeois de Bruges tenaient la liste des soldats formant l’armée flamande où sont mentionnés les « Blancs Templiers ». Voir : Schotte Bernard ; "Fighting the king of France : Templars and Hospitallers in the flemish rebellion"; pp 45-56; IN ;The debate on the trial of the Templars, 1307-1314, Ashgate, 2010.

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Le chroniqueur Gilles de Muisit, abbé de Saint-Martin de Tournai (1272-1352) raconte que le soulèvement du peuple de Bruges, qui donna lieu au sac du château de Malé le 1er mai 1302 fut à l’instigation d’un certain chevalier de l’ordres Templiers nommé Bonem, c’est-à-dire le Templier Willem van Bonem. 

La suite des événements sera le massacre des soldats français séjournant dans la cité de Bruges au petit matin du 18 mai 1302. Il semblerait que le Templier Willem van Bonem ait été soutenu dans sa démarche par le maître des Templiers de la Baillie de Flandres Pierre de Sac ou Pieter Uten Sacke (1288-1303). 

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Ce dignitaire de l’ordre était un fidèle conseiller de la famille des comtes de Flandres qui s’opposait au roi de France. C’est donc plusieurs dizaines de Templiers flamands, soutenus par leur hiérarchie, qui vont conseiller et encadrer les milices flamandes qui vont réussir l’exploit de massacrer la fleur de la chevalerie française à la bataille de Courtrai le 11 juillet 1302.

Parmi les hommes qui vont s’illustrer dans le massacre de la noblesse française à Courtrai figure un ancien Templier d’une stature impressionnante et passablement violent : Willem van Saeftinghe devenu convers chez les cisterciens. Willem van Saeftinghe s’était réfugié dans l’abbaye de Ter Doest probablement pour chercher la paix intérieure après une vie de combats dont certains actes vous condamnent aux flammes éternelles. 

Le fait est, que l’âme de Willem van Saeftinghe brûlait d’une ardeur sans répit et quand la bataille de Courtrai commença, il s’y jeta comme un damné. C’est lui qui désarçonna le capitaine de l’armée française Robert II d’Artois. Armé d’une masse d’arme et d’une épée, on dit qu’il tua à lui seul plus de 40 chevaliers français. 

Après la bataille, il retourna dans son abbaye de Ter Doest mais le convers van  Saeftinghe méprisait l’autorité de ses supérieurs qui commirent l’erreur en 1308 de le menacer de révéler les odieux forfaits qu’ll avait avoué en confession. L’abbé du monastère ne dut la vie sauve qu’à sa fuite et à l’intervention du cellérier qui périt entre les mains du forcené. En fuite et excommunié , le pape leva son excommunication en 1309 à condition qu’il aille se battre pour la bonne cause. Il s’engagea dans l’ordre des Hospitaliers et aurait été tué lors du siège de l'île de Rhodes (1307-1310).

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Les Flamands ont élevé une statue en 1988 à ce combattant qui manifestement souffrait du syndrome de stress post-traumatiques. 

 

25. Dans cette action, lesTempliers ont été pris de court. Il a fallu monter en urgence une opération pour intercepter l’émissaire de la secte ismaélienne des Assassins qui venait de conclure un accord avec le roi de Jérusalem sans passer par les Templiers. 

Pourtant cet accord les concernait au premier chef puisqu’il stipulait que la secte des Assassins acceptait d’abjurer l’Islam et de se convertir à la fois chrétienne si le Roi les affranchissait du tribu de 2000 besants d‘or que la secte payait chaque année à l’ordre des Templiers dans leur forteresse de Tortose pour prix de leur protection. Le roi de Jérusalem avait signé cet accord avec enthousiasme sans avoir pris le soin d’avertir les premiers concernés. 

C’est à un chevalier de l’ordre expérimenté que le chapitre du Temple va confier le soin de régler l’affaire. Il s’agissait du frère templier Gautier du Mesnil dit "le Borgne" à cause d’une estafilade au visage qui le privait d’un oeil et qui lui donnait un air peu engageant. Gautier du Mesnil partit à bride abattue pour se rendre au château de Chastel Blanc où il réunit une troupe de Templiers. 

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La délégation ismaélienne fut interceptée juste avant de franchir la frontière. Le frère du Mesnil et les Templiers de Chastel Blanc n’étaient pas là pour négocier. Une fois les épées tirées, ce n’est certainement pas le sauf-conduit délivré par le roi de Jérusalem qui put sauver la vie de l’émissaire des Assassins et de sa suite qui furent découpés en morceaux.

Après l’annonce du méfait, le roi de Jérusalem fut furieux et exigea du grand maître qu’on lui livre le coupable. Le grand maître Eudes de Saint-Amand rejeta les injonctions du roi avec l’argument que le frère templier ne dépendait pas de la justice royale mais de celle du pape. Amaury Ier, sans attendre, rassembla ses hommes et se rendit à Sidon où résidait le grand maître et son chapitre qui ne s’attendaient pas à cette visite. Le roi fit assaillir par ses hommes l’hôtel des Templiers et se saisit de force de Gautier du Mesnil qu’il jeta dans un cachot à Tyr. 

Le chroniqueur Guillaume de Tyr prétend que le roi de Jérusalem Amaury Ier était prêt à dédommager intégralement les pertes financières que cet accord représentait pour les Templiers. Mais cette affirmation arrive après coup pour donner le beau rôle à son roi. Si ça avait été le cas, nul doute que le roi aurait invité les frères templiers à la table des négociations. Notre sentiment est qu’Amaury Ier était au contraire ravi de passer au-dessus de leur tête et de les marginaliser vis-à-vis de leurs obligés pour renforcer son prope pouvoir sur la Terre-Sainte et que c’est parce qu’ils se sont sentis floués que les frères templiers ont réagi de la sorte.

 

L'ermitage de San Bartolomé d'Ucero,
les Templiers portiers de l'Enfer ?

 1a

 

Par moi l’on va dans la cité dolente,

Par moi l’on va dans l’éternelle douleur,

Par moi l’on va chez les âmes damnées. 

La justice anima mon sublime artisan.

Je fus faite par la divine puissance,

La plus haute sagesse et le premier amour.

Avant moi il n’y eut point d’autres choses créées

Sinon éternelle, et moi l’éternelle je durerai.

Laissez toute espérance, vous qui entrez!

            Dante Alighieri, La Divine Comédie,

            chant III, (1 à 9), la porte de l’Enfer

 

 

San Bartolomé d’Ucero, un ermitage templier?

 

Tenter de déterminer les possessions de l’ordre des Templiers au sein du diocèse d’el Burgo de Osma en Castille, où est situé l’ermitage de San Bartolomé d’Ucero, reste un exercice qui ne peut répondre à toutes nos interrogations puisqu’une partie des archives du diocèse concernant la période qui nous intéresse a été détruite par des incendies. 

 

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Selon la documentation de la commission templière de Saragosse de Novillas, le Temple aurait eu des possessions à Àgreda et Compo de Gómara avant 1134. C’est dans une bulle datée du 10 octobre 1170 que le pape Alexandre III énumère une liste de couvents templiers dans la démarcation castillane où est cité pour la première fois le couvent templier de San Juan de Otero dans le diocèse d’el Burgo de Osma sans que l’on puisse localiser avec certitude où se trouvait se couvent templier.

 

Seul indice donné par les chercheurs locaux, et cet indice paraît bien mince: suite à un litige entre l’ordre des Templiers et celui de Calavatra, nous connaissons le nom d’un des Templiers du couvent de San Juan de Otero. Il s’agit de Fernan Nünez de Fuente Almexir, originaire de la ville de Fuentearmegil, distante d’une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau de la cité d’Ucero.

 

Si on s’attache aux indices lapidaires, on peut tout de même constater que dans la localité d’Ucero toute proche de l’ermitage de San Bartolomé, plusieurs stèles templières ont été répertoriées et ont servi en réemploi dans les murs des bâtiments de la ville.1

 

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À l’heure d’aujourd’hui, ces stèles funéraires constituent le seul élément probant d’une présence templière à Ucero. 

 

 

1c stele templiere

 

La ville d’Ucero est située aux creux de la vallée qui ouvre la voie au canyon du Rio Lobos. À l’origine, la petite cité d’Ucero se trouvait en hauteur, protégée par son château et son église, aujourd’hui en ruines et que les chercheurs locaux identifient avec l’église du couvent templier de San Juan de Otero, « otero » signifiant en hauteur ou monticule.

 

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Dans ce cas, les habitants du lieu se seraient servis des stèles funéraires du couvent situé sur la colline pour les intégrer dans leurs habitations dans la vallée. 

 

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Quant à l’attribution du château d’Ucero à l’ordre des Templiers, cela paraît a priori peu probable puisqu’il semble que le château aurait été donné par Alphonse VIII de Castille à Juan Gonzalez après la bataille de las Navas de Tolosa en 1212 et qu’en 1302 ce seraient les évêques d’el burgo de Osma qui auraient rachetés le château aux héritiers de Juan Garcia de Villamayor. 

 

L’identification de l’église de la colline d’Ucero avec l’ancien couvent templier de San Juan de Otero reste donc encore mal assurée même si la présence des Templiers à Ucero semble plus que probable et que les historiens du diocèse d’el Burgo de Osma admettent l’origine templière de l’ermitage de San Bartolomé d’Ucero. 

 

 

San Bartolomé, gardien des Enfers?

 

La question que beaucoup de personnes se sont posées est de savoir pourquoi les Templiers avaient-ils pris l’initiative à la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe siècle de faire construire ce bel ermitage dans cet obscur canyon au milieu de nulle part. 

 

Pour y répondre, certains chercheurs ont fait remarquer que l’ermitage de San Bartolomé d’Ucero se situait à équidistance des deux extrémités de la péninsule ibérique.

 

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Doit-on mettre ce fait sur le compte d’un pur hasard ou nous trouvons-nous là devant un indice à caractère mystique? Un élément de réponse à nos interrogations pourrait nous être apporté indirectement par un jésuite du XVIe siècle nommé Pablo José de Arriaga.2 Dans une lettre écrite en 1598 au général de son ordre, Claudio Aquaviva, De Arriaga, qui se trouve en Amérique du Sud, plus précisément dans la cité de Potosi en Bolivie, décrit à son supérieur les pratiques des autochtones qui sacrifient à des divinités païennes cachées dans une grotte située dans une gorge profonde empruntée par les caravaniers. Cette gorge terrifiait les voyageurs qui s’y engageaient car on prétendait que certains voyageurs pouvaient être littéralement dévorés par la montagne infestée de forces démoniaques sorties de la grotte située au milieu de la gorge. 

 

Pour faire cesser les dévotions à ces forces obscures et souterraines, les jésuites décidèrent d’exorciser cette grotte en faisant appel à un saint capable de lutter contre les plus puissants démons: San Bartolomé. San Bartolomé, ou saint Barthélemy, fut apôtre de Jésus Christ puis évangélisateur en Asie Mineure, en Mésopotamie et en Arménie où il fut martyrisé. Une des particularités du saint est qu’il fut écorché vif et qu’il est souvent représenté avec sa propre peau dans une main et un couteau dans l’autre qui servit pour l’écorcher et qui dorénavant lui permet de combattre le démon.

 

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Pour les amateurs de mystère, on associe San Bartolomé au serpent qui lui aussi perd sa peau. Cela donne à saint Bartolomé une certaine affinité avec les forces souterraines et telluriques qu’incarne parfois chez les bâtisseurs le serpent diabolique. 

 

Les jésuites firent bâtir une chapelle en l’honneur de san Bartolomé près de la grotte maudite et la légende veut que le saint ait vaincu le diable avec son couteau et qu’il le repoussa dans cette grotte sans qu’il puisse jamais plus en sortir. Par la suite, les jésuites installèrent une croix au fond de cette grotte. Malgré tout, on s’inquiéta que le saint lui-même passait plus de temps dans cette grotte qui fut identifiée avec la porte de l'Enfer que dans sa propre chapelle édifiée en son honneur. Pour remédier à cette déconvenue, les autochtones décidèrent de dynamiter l’entrée de la grotte. 

 

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C’est ainsi que tout rentra dans l’ordre: San Bartolomé repris le chemin de sa chapelle. Quant au Diable, il fut renvoyé aux enfers. Les voyageurs purent dorénavant traverser sans crainte les gorges de San Bartolomé.

 

Chaque année le 24 août, jour de la Saint Barthélémy, la population de Potosi commémore la victoire du saint sur le diable et, quand l’effigie du saint retourne dans sa chapelle après avoir visité les gorges, il est salué par une salve de dynamite. 

 

Dans la péninsule ibérique au Moyen-Âge, les pèlerins voulant rejoindre le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle pouvaient passer par ce canyon perdu du Rio Lobos dans cette région reculée d’Espagne, aujourd’hui parc naturel et hier territoire des loups. 

 

Quand le pèlerin de Saint-Jacques s’engageait dans ce canyon, il pouvait aussi sentir sur lui l’oeil perçant des vautours fauves qui vous regardent comme si vous étiez leur prochain repas. 

  

C’est dans ces contrées sauvages et quelque peu hostiles que lors des longues veillées d’hiver éclairées par le feu d’une cheminée les habitants des lieux livraient leur terrible secret car c’est dans ce canyon proche du village que le Malin habitait. On disait qu’il sortait la nuit de sa grotte sous la forme d’un grand serpent et malheur au voyageur qui osait s’aventurer à ce moment-là dans le canyon maudit de Dieu.

 

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Les légendes locales veulent que ce soit les Templiers qui décidèrent d’exorciser ce lieu en élevant un ermitage dédié à San Bartolomé juste en face de la grotte du Diable. La légende locale précise que le Christ à l’étoile, connu sous le nom de « Christ sorcier » et provenant de l’ancienne église templière de San Juan de Otero, conseilla aux Templiers de placer un Pentalpha inversé sur les transepts de l’ermitage pour repousser le Malin. 

 

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On peut constater à ce propos certaines différences avec l’exorcisme pratiqué par les jésuites en Bolivie car c’est la croix du Christ qui avait servi à repousser le Diable alors que dans le canyon du Rio Lobos, les Templiers ont utilisé le Pentalpha inversé qui, certes, à l’époque symbolise la vierge Marie et l’Enfant jésus, mais reste tout de même un symbole bien ésotérique, surtout quand on sait que ce pentalpha inversé est associé à l’Étoile du Matin que les Romains appelaient Lucifer. 

 

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De plus, la légende locale évoque un « Christ sorcier », ce qui laisserait entendre que le Pentacle inversé agit comme un talisman qui contraint les forces maléfiques. Si c’était le cas, nous ne serions plus tout à fait dans le domaine de l’exorcisme mais dans celui de la nigromancie, c’est-à-dire la science des démons, ce que l’expression « Christ sorcier » ne ferait que confirmer. Les affinités de san Bartolomé avec le Serpent et sa propension à être plus attiré par la porte de l'Enfer que par sa propre chapelle peut aussi nous interroger car à aucun moment il nous semble qu’il ait été question de condamner l’entrée de la porte de l'Enfer dans le canyon du Rio Lobos. 

 

Faut-il en déduire que les Templiers étaient si persuadés de posséder un talisman si puissant qu’ils étaient certains d’avoir définitivement cloué la tête du Serpent comme avec la dalle de santé dont la fonction était de fixer toutes les forces telluriques de la région. 

 

Tous les 24 août, les gens de la région d’Ucero viennent fêter la Vierge de la Santé qui porte l’Enfant-Jésus au cours d’une procession qui circule dans le canyon. 

 

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Ils ont aussi pour habitude de se tenir debout les pieds joints sur la Dalle de Santé. 

 

 

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Dans le serment des douze étoiles, Saint Bernard rappelle la vocation de la Vierge Marie. « Bien plus cet unique insensé, le prince de toute folie, dont on peut dire avec vérité, qu’il a changé comme la lune, et qu’il a perdu tout son éclat, se voit maintenant foulé, écrasé par Marie, sous les pieds de qui il endure une affreuse servitude. Car elle fut jadis promise de Dieu, comme devant écraser un jour, du pied de sa vertu, la tête de l’antique serpent. »3

 

 

Exorcisme ou pratique de la nigromancie?

 

La pratique de l’exorcisme effectué par les Templiers sur la porte de l'Enfer de cette terre d’Occident semble conforme à l’esprit de leur religion qui faisait de Notre-Dame la patronne et la protectrice de leur ordre.

 

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Cependant on ne peut s’empêcher de trouver suspect le fait d’employer un Pentalpha inversé comme talisman contre le Malin car on a encore en tête le passage du roman de Parzival quand Wolfram von Eschenbach écrit, sous la dictée d’un certain Kyot le Provençal, alias Gervais de Tilbury.

 « Songez à ce qui advint à Lucifer et à tous ses compagnons de lutte. Et pourtant c’étaient des êtres sans fiel. Ah ! Seigneur Dieu ! D’où leur vint cette haine, qui les mena, après une suite infinie de combats, à recevoir en enfer un cruel châtiment? Astaroth et Belcimon, Belet et Radamante, et tant d’autres dont je sais encore les noms, toute cette brillante troupe d’êtres célestes dut expier sa haine en recevant les noires couleurs de l’enfer. »4

 

L’auteur de ce passage avoue lui-même qu’il connaît le nom de tous les compagnons de Lucifer et pour cause puisqu’ils sont souvent invoqués dans la pratique de la nigromancie. L’auteur évoque notamment Rhadamanthe, un des trois fils de Zeus et d’Europe, qui est juge de l’Enfer dans la mythologie grecque avec ses frères Eaque et Minos. Dante dans l’Enfer de sa Divine Comédie mettra en avant le frère de Rhadamanthe, Minos.

 

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Pour donner une petite idée de la personnalité de ce Kyot le Provençal, identifié avec l’anglais Gervais de Tilbury, on peut donner l’anecdote suivante à son sujet. Quand Gervais de Tilbury se trouvait au service de Monseigneur l’archevêque de Reims, Guillaume aux Blanches Mains, Gervais de Tilbury fit brûler vive en place publique une jeune paysanne qui avait refusé de coucher avec lui sous le seul prétexte que les arguments qu’elle avançait pour rejeter ses avances prouvaient qu’elle était une hérétique.5 Le Diable en personne n’aurait pas fait mieux que cet anglais élevé à la cour des Plantagenêt, grand amateur de femmes et de magie qualifiée de « salomonienne » .

 

Aussi étonnant que cela puisse paraître, à l’époque de Gervais de Tilbury la magie n’est pas considérée comme une pratique hérétique. Tout ce qui concerne la science des démons, ou la nigromancie, semble être plus ou moins associé à la pratique des exorcismes. Il faudra attendre le pape Jean XXII et sa bulle « Super illius specula » fulminée en 1326 pour que la magie soit considérée comme une pratique hérétique. L’église pour la première fois reconnaît la nigromancie comme une pratique démonolâtre qui détourne les sacrements ou les objets sacrés tels que les hosties. 

 

De leur côté, les clercs qui pratiquent la magie affirment plutôt qu’ils demandaient l’aide divine afin qu’elle contraigne les démons à l’obéissance. Mais l’église voit dans certains actes, tels que le jeûne ou le fait de porter des tenues spécifiques (par exemple la tenue du grand-prêtre de Salomon sur laquelle est tracé un pentacle), comme autant de manières de sacrifier aux esprits et donc de leur être lié, d’être soumis à eux.

 

Rien qu’en France dans la première moitié du XIVe siècle,6 quatorze procès en sorcellerie vont être menés par l'Inquisition qui impliquent dans la plupart des cas des ordres monastiques comme ceux des moines bénédictins, dominicains ou cisterciens. Ils touchent aussi des clercs et des prêtres. Au total, une vingtaine de religieux sont condamnés dont huit femmes. Dans sa Divine Comédie, le poète florentin Dante Aligheri n’hésite pas dans le huitième cercle de l’Enfer à citer certains personnages comme le célèbre sorcier Michael Scot (1175-1232), attaché à la cour de l’empereur germanique Frédéric II , ainsi que Guido Bonatti, célèbre astrologue au service du comte Guido de Montefeltre ou Benvenuto Asdente, cordonnier de Parme devenu prophète de la fin des temps sans compter les sorcières et devineresses dont le poète néglige de nous donner les noms. 

 

L’Église faisait bien de réagir car la nigromancie va vite se transformer en rituel satanique dans lequel est pratiqué le sacrifice d’êtres vivants. Au début, ce sont d’innocentes colombes que l’on sacrifie mais par la suite on n’hésitera pas à sacrifier des enfants. 

 

Le procès du maréchal de France Gilles de Rais (1404-1440) ancien compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, révélera la pratique de cérémonies sataniques dans lesquelles seront violés et sacrifiés dans des conditions atroces plus de deux cents enfants âgés de cinq à seize ans. Ces cérémonies démoniaques seront conduites par un jeune prêtre florentin nommé François Prelati. 

 

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Il se trouve que le berceau de cette université du Diable était la cité de Tolède, dans ce royaume de Castille où les Templiers gardaient la Porte de l’Enfer.

 

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Comme il est rappelé dans le Parzival de Wolfram von Eschenbach, c’est précisément dans la cité de Tolède en Castille que Kyot le Provençal, le maître illustre, trouva parmi les manuscrits abandonnés la matière de cette histoire notée en écriture arabe.7

 

Parmi les nigromanciens célèbres de Tolède, on retrouve l’écossais Michael Scot et on est surpris de constater qu’en Espagne la nigromancie est considérée comme une science tout à fait raisonnable. 

 

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Dans sa Disciplina Clericalis, écrit vers 1106, qui est un recueil d’exempla destiné à l’étude des clercs, le juif converti originaire de Huesca en Aragon, Pierre Alphonse (1062-1140) envisage la possible appartenance de la nigromantia aux sept arts libéraux.8 Pierre Alphonse, de son nom juif Moshé sephardi, médecin et astrologue du roi d’Aragon Alphonse 1er, s’installera par la suite en Angleterre où il participera à diffuser la pratique de la magie à la cour des Plantagenêt. 

 

Après lui, nous avons Johannes Hispalensis et limiensis (Jean de Seville), lui aussi d’origine juive, qui traduisit le De Imaginibus dans lequel la science des images astrologiques est considérée comme plus digne que la géométrie et plus haute que la philosophie. La magie astrale est qualifiée de point culminant du savoir.9

 

Les communautés juives de cette époque étaient très imbibées par l’univers de la magie. À Paris, sur l’île de la Cité, les Juifs étaient réputés pour leurs pratiques magiques, la fabrication de talismans ainsi que par l’étude du Talmud. Ce sont ces Juifs de la Cité qui influenceront fortement des personnages comme le théologien parisien Pierre le Mangeur, un des maîtres spirituels de Gervais de Tilbury. De même dans le nord de l’Espagne, dans le sud de la France et particulièrement en Provence, la science de la kabbale sera développée par des communautés de ces régions au grand dam du rabbin juif Moïse Maïmonide (1138-1204) qui désespère de voir ses congénères attacher tant d’importance à des fariboles comme les pseudo-sciences de la magie ou de l’astrologie.

 

Malgré tout, la quête de pouvoirs surnaturels à travers des pratiques magiques trouve de plus en plus d’adeptes dans le royaume de Castille. En 1160, dans son Divisione Philosophie, le clerc tolédan Gundisalvus introduit huit divisions dans une catégorie générale intitulée Scientia Naturalis Universalis qui comprend la médecine, la science astrologique, la science de la nigromancie selon la physique, la science des images, c’est-à-dire la magie astrale, l’agriculture, la navigation, l’optique et l’alchimie.10 

 

Quant au clerc anglais Daniel de Morley, dans sa Philosophie composée après son séjour dans la cité de Tolède entre 1175 et 1187, il reprendra la nomenclature en huit parties avec la science de la nigromancie selon la physique ainsi que l’alchimie qui est « la science de la transformation des métaux en d’autres espèces ».11

 

Le notaire et chancelier de Florence Brunetto Latini12, dans son Livre du Trésor, écrit vers 1260-1266, fera un résumé explicite de sa conception de la philosophie puisqu’il place la nigromancie en tête des sciences dites mécaniques.

 

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On peut constater qu’entre le XIIe et le XIIIe siècles, en Espagne, en Angleterre, en France en Allemagne ou en Italie, l’art de la nigromancie, c’est-à-dire de la magie, est enseignée comme une science. L’évêque de Paris, Guillaume d’Auvergne, dans le chapitre 24 de son De Legibus et Sectis (1228-1230) reprend l’expression de « nigromancie selon la physique » et introduit pour la première fois la notion de  « magie naturelle ».13Quant au grand théologien allemand Albert le Grand, il se situe dans la droite ligne de ses prédécesseurs même si il fait la différence entre la magie des mages (il pense aux Rois Mages qui s’intéressent aux merveilles de la nature) et les malefici, les sorciers.14 Ces sorciers auront tout de même leurs entrées à la cour du roi Alphonse X de Castille, de l’empereur germanique Frédéric II, comme à celle des rois Plantagenêt.

 

Dans un tel contexte culturel, on est sidéré de constater que la pratique de la magie voire de la sorcellerie liée aux milieux savants et éduqués, pour ne pas dire initiés, était à deux doigts de faire son entrée à l’université.15

 

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Kyot le Provençal, alias Gervais de Tilbury, est l’archétype de ce clerc savant qui considérait la pratique de la magie comme le pouvoir de mettre à son service les forces occultes de la Nature.  Son maître en théologie, Pierre le Mangeur, dans son Historia Scolastica, considère Moïse et Salomon comme des praticiens de la magie. Il écrit à propos de Salomon « il fut l’inventeur des exorcismes et utilisa à cette fin des pierres précieuses sur lesquelles il fit graver des caractères et des noms divins. »,16 se référant à l’historien juif Flavius Joseph, Gervais de Tilbury dans ses Otia de Imperialia, reprend le propos d’un salomon magicien en disant « Salomon fut le premier qui enclôt le malin esprit dans un anneau par lequel il commandait aux autres diables ».17

 

Si on pense qu’au fin fond de cette terre d’Occident un humble ermitage templier gardait à lui seul la porte de l’Enfer, on imagine bien que ce lieu devait être une destination privilégiée pour tous les apprentis sorciers qui cherchaient à s’initier aux mystères de l’Occident.

 

Conclusion

 

Malgré le manque de documentation, l’attribution aux Templiers de la construction de l’ermitage de San Bartolomé d’Ucero est assez probable. 

 

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L’ermitage devait dépendre du couvent templier de San Juan d’Otero dans le diocèse d’el Burgo de Osma. La localisation de ce couvent templier est encore problématique même si la colline d’Ucero où se trouvent les ruines d’une église peut être envisagée comme une localisation probable mais non certaine. 

 

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Nous émettons l’hypothèse que la construction de l’ermitage de San Bartolomé par les Templiers aurait eu pour fonction d’exorciser le lieu où se trouvait une grotte identifiée comme la « porte de l'Enfer ».

 

1v

 

La pratique par l’ordre des Templiers d’un exorcisme à travers l’élévation d’un ermitage nous amène à nous interroger sur la religion des frères templiers et sur les accusations portées lors de leur procès au début du XIVe siècle à propos de l’adoration d’une idole nommée Baphomet. 

 

Le XIVe siècle verra le début des procès en sorcellerie conduits bongré malgré par la papauté installée à Avignon. Les études récentes sur la pratique de la magie et de la nigromancie au Moyen-Âge ont révélé à quel point entre le XIIe et le XIII siècle, époque où fut élevé l’ermitage templier de San Bartholomé, ces pratiques étaient regardées par la haute société médiévale comme une activité réservée à une élite de clercs et de savants et qu’on se refusait de considérer comme hérétique.

 

Dans ce contexte, l’hypothèse que la figure du Baphomet, qui était la représentation zodiacale du solstice d’hiver, la « porte des dieux » et le Paraclet des Templiers, pouvait enclore le démon Lucifer grâce à la magie démoniaque n’est pas totalement à écarter. 

 

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Dans le royaume de Castille ces pratiques magiques faisaient partie de la science des images astrologiques  considérée comme plus digne que la Géométrie par Johannes Hispalensis (1090-1150) dans son De Imaginibus traduit entre 1112 et 1128.

 

Même s’il faut attendre 1326 pour que l’Église romaine finisse par reconnaître le caractère hérétique de la magie et de la nigromancie, soupçonner les frères du Temple d’avoir honoré de telles figures lors de leurs chapitres entretient quand même un sérieux malaise.18

 

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S’il fallait trouver un responsable à cet état de faits, celui qui vient à l’esprit est maître Kyot le Provençal lui-même, alias Gervais de Tilbury. Ce personnage a tout à fait le profil pour transformer le calice qui a recueilli le sang du Christ en une pierre précieuse tombée du front de Lucifer.

 

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Cet anglais proche de la dynastie des Plantagenêt et familier de l’empereur germanique Otton IV de Brunswick était l’âme damnée des Templiers. Si, comme nous le pensons, il s’est rendu auprès d’Aliénor Plantagenêt et d’Alphonse VIII de Castille dans les années 1180-1182, la porte de l'Enfer lui était particulièrement destinée. 

 

Ce grand prêtre salomonien devait être dans son élément dans ce lieu où comme un bateau sans ancre l’âme dérive sur des eaux à jamais maudites de Dieu. 

 

par Jean-Pierre SCHMIT


 NOTES:

 

1. Soriaymas. "Ucero: quatre stèles médiévales"; 31/12/2011; Templarios en Soria; consultable sur: https://templariosensoria-wordpress-com.translate.goog/2011/12/31/ucero-cuatro-estelas-medievales/?_x_tr_sl=es&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc

2. Pascale Absi et Pablo Cruz, « La porte de la wak’a de Potosi s’est ouverte à l’enfer. La Quebrada de San Bartolomé », Journal de la Société des américanistes [En ligne], 93-2 | 2007, mis en ligne le 10 décembre 2012, consulté le 10 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/jsa/7823 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jsa.7823

3. Saint Bernard, le Sermon des douze étoiles, version relue et retouchée avec l'appui de la version publiée dans: Ecrits sur la Vierge Marie de Saint Bernard de Clairvaux; édition Médiaspaul; 1995

4. Wolfram von ESCHENBACH. Parzival (Perceval le Galois). Tome II; traduction, introduction et notes de Ernest TONNELAT; editions Aubier Montaigne; 1977; Livre IX, p. 23

5. Cette anecdote est retranscrite par l'abbé cistercien Raoul de Coggeshall dans sa Chronicon Anglicanum, ed Joseph Stevenson. pp.121-125

6. En France, ce n’est pas l’Église romaine qui va initier les procès en sorcellerie mais la justice royale. Le roi de France Philippe le Bel attaque là où ça fait mal. Au début du XIVe siècle, l’Église est clairement accusée de complaisance à propos des pratiques de magie rituelle avec invocations aux démons qui sont considérées par la cour du roi de France comme des pratiques hérétiques. Cela va donner une série de procès en sorcellerie comme celui du pape Boniface VIII en 1303-1311, des Templiers en 1307-1314, de Guichard, évêque de Troyes, en 1308-1314, d’Enguerrand de Marigny en 1315, du cardinal Caetani en 1316, de Mahaut d’Artois en 1317, de l’évêque de Cahors Hugues Géraud en 1317, de l’archevêque d’Aix Robert de Mauvoisin en 1318, etc. Tous ces procès en sorcellerie vont contraindre le pape Jean XXII a lancer une grande consultation doctrinale à l’automne 1320 sur le fait de savoir si la magie démoniaque est hérétique dans le sens où elle serait contraire au dogme de l’Église. La réponse est toute juridique puisqu’il sera considéré que les magiciens « dogmatisent par le fait » (facto dogmatizantes). La magie constitue donc non pas une opinion hérétique mais un « factum hereticale » .  Jean-Patrice BOUDET. Entre science et nigromance, p. 452

7. Wolfram von ESCHENBACH. Parzival; Tome II; op. cit. p. 23

8. BOUDET, Jean-Patrice. Entre science et nigromance : Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (XIIe-XVe siècle). Paris : Éditions de la Sorbonne, 2006. pp. 125-126

9. Op. cit. pp. 126-127.

10. OP. cit. p. 127

11. Op. cit. p.127

12. Brunetto Latini (1220-1294) s’est rendu en Castille auprès du roi Alphonse X de Castille en 1260 en tant qu’ambassadeur de Florence. Brunetto Latini sera le professeur de Dante Alighieri à Florence. Si dans sa Divine Comédie Dante rend hommage à son ancien professeur, puisque lui et Virgile rencontrent Brunetto Latini au chant XV, il le retrouve tout de même dans le septième cercle de l’Enfer parmi les sodomites.  Capture dcran 2022 04 11 11293013. BOUDET, Jean-Patrice. Entre science et nigromance; op. cit. p. 128

14. Op. cit. p. 131

15. Heureusement en France comme à Paris, des théologiens s’insurgent contre l’astrologie et la magie. C’est la cas d’Abélard, de Guillaume de Conches, de Jean de Salisbury. Quant à Hugues de Saint-Victor, il écrit en 1137,dans son Didascalon, chapitre 15 du livre VI: inventée par Zoroastre, roi des Bactriens, par Cham, l’un des fils de Noé, ou par Ninus, roi des Assyriens, « la magie n’est pas admise au sein de la philosophie, elle en est exclue. Trompeuse dans ses prétentions, maîtresse de toute iniquité et de toute malice, mentant sur le vrai, mais faisant vraiment tort aux âmes, elle détourne de la religion divine, entraîne au culte des démons, introduit la corruption des moeurs, et pousse les esprits à toute espèce de crime et d’abomination. » Jean-Patrice BOUDET. Entre science et nigromance; p. 210

16. BOUDET, Jean-Patrice. Entre science et nigromance; op. cit. p. 213

17. GERNER, Dominique. Les Oisivetez des emperieres, traduction des Otia Imperialia de Gervais de Tilbury par Jean de Vignay; édition du ms Rothschild n°3085 de la bibilothèque Nationale de Paris; Strasbourg, 1995; Tome II, chapitre XX, p. 92

18. Au début du XIVe siècle, la magie savante fait partie de la culture des élites cléricales, même au sein de la curie romaine. On accusera après sa mort le pape Boniface VIII (1294-1303) d’avoir adoré une idole renfermant un esprit diabolique - accusation déjà portée à l'encontre d'un autre pape, Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an 1000, et cette pratique semble assez répandue puisque Guichard, évêque de Troyes, Enguerrand de Marigny et Matteo Visconti seront accusés des mêmes faits. Il n’y a aucune raison de penser qu’il en soit autrement pour les Templiers même si avec Baphomet nous avons probablement affaire au prince des démons et non à des démons de seconde zone comme avec les personnages précités. Jean-Patrice BOUDET. Entre science et nigromance; p. 471-472e

 

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